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AMPLIFICATION D'UNE CONFÉRENCE PRONONCEE
à la clinique NEURO-PSYCHIATRIQUE DE VIENNE, le 7 novembre I955, par Jacques Lacan

in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp.401-436

     
 

En ces jours où Vienne, pour se faire entendre à nouveau par la voix de l'Opéra, reprend en une variante pathétique ce qui fut sa mission de toujours en un point de convergence culturelle dont elle sut faire le concert, - je ne crois pas venir hors de saison y évoquer l'élection par quoi elle restera, cette fois à jamais, liée à une révolution de la connaissance à la mesure du nom de Copernic : entendez, le lieu éternel de la découverte de Freud, si l'on peut dire que par elle le centre véritable de l'être humain n'est désormais plus au même endroit que lui assignait toute une tradition humaniste.

Sans doute même pour les prophètes à qui leur pays ne fut pas tout à fait sourd, le moment doit-il venir où s'y observe leur éclipse, ceci fût-il après leur mort. La réserve convient à l'étranger quant aux forces qui mettent en jeu un tel effet de phase. Aussi bien le retour à Freud dont je me fais ici l'annonciateur se situe-t-il ailleurs : là où l'appelle suffisamment le scandale symbolique que le Dr Alfred Winterstein, ici présent, a su, comme président de la Société psychanalytique de Vienne, relever quand il se consommait, soit à l'inauguration de la plaque mémoriale qui désigne la maison où Freud élabora son oeuvre héroïque, et qui n'est pas que ce monument n'ait pas été dédié à Freud par ses concitoyens, mais qu'il ne soit pas dû à l'association internationale de ceux qui vivent de son parrainage.
Défaillance symptomatique, car elle trahit un reniement qui ne vient pas de cette terre où Freud de par sa tradition ne fut qu'un hôte de passage, mais du champ même dont il nous a légué le soin et de ceux à qui il en a confié la garde, je dis du mouvement de la psychanalyse où les choses en sont venues au point que le mot d'ordre d'un retour à Freud signifie un renversement.

Bien des contingences sont nouées dans cette histoire, depuis que le premier son du message freudien a retenti avec ses résonances dans la cloche viennoise pour étendre au loin ses ondes. Celles-ci parurent s'étouffer dans les sourds effondrements du premier conflit mondial. Leur propagation reprit avec l'immense déchirement humain où se fomenta le second, et qui fut leur plus puissant véhicule. Tocsin de la haine et tumulte de la discorde, souffle panique de la guerre, c'est sur leurs battements que nous parvint la voix de Freud, pendant que nous voyions passer la diaspora de ceux qui en étaient les porteurs et que la persécution ne visait pas par hasard. Ce train ne devait plus s'arrêter qu'aux confins de notre monde, pour s'y répercuter là où il n'est pas juste de dire que l'histoire perd son sens puisqu'elle y trouve sa limite, - où l'on se tromperait même à croire l'histoire absente, puisque, déjà nouée sur plusieurs siècles, elle n'y est que plus pesante du gouffre que dessine son horizon trop court, - mais où elle est niée en une volonté catégorique qui donne leur style aux entreprises : anhistorisme de culture, propre aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord.

C'est cet anhistorisme qui définit l'assimilation requise pour qu'on y soit reconnu, dans la société constituée par cette culture. C'est à sa sommation qu'avait à répondre un groupe d'émigrants qui, pour se faire reconnaître, ne pouvaient faire valoir que leur différence, mais dont la fonction supposait l'histoire à son principe, leur discipline étant celle qui avait rétabli le pont unissant l'homme moderne aux mythes antiques. La conjoncture était trop forte, l'occasion trop séduisante pour qu'on n'y cédât pas à la tentation offerte d'abandonner le principe pour faire reposer la fonction sur la différence. Entendons bien la nature de cette tentation. Elle n'est pas celle de la facilité ni du profit. Il est certes plus facile d'effacer les principes d'une doctrine que les stigmates d'une provenance, plus profitable d'asservir sa fonction à la demande ; mais ici, réduire sa fonction à sa différence, c'est céder à un mirage interne à la fonction même, celui qui la fonde sur cette différence. C'est y faire retour au principe réactionnaire qui recouvre la dualité de celui qui souffre et de celui qui guérit, de l'opposition de celui qui sait à celui qui ignore. Comment ne pas s'excuser de tenir cette opposition pour vraie quand elle est réelle, comment ne pas de là glisser à devenir les managers des âmes dans un contexte social qui en requiert l'office ? Le plus corrupteur des conforts est le confort intellectuel, comme la pire corruption est celle du meilleur.

C'est ainsi que le mot de Freud à Jung de la bouche de qui je le tiens, quand invités tous deux de la Clark University, ils arrivèrent en vue du port de New York et de la célèbre statue éclairant l'univers : "Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste", lui est renvoyé pour sanction d'une hybris dont l'antiphrase et sa noirceur n'éteignent pas le trouble éclat. La Némésis n'a eu, pour prendre au piège son auteur, qu'à le prendre au mot de son mot. Nous pourrions craindre qu'elle n'y ait joint un billet de retour de première classe.
A la vérité, s'il s'est passé quelque chose de tel, nous n'avons à nous en prendre qu'à nous. Car l'Europe parait plutôt s'être effacée du souci comme du style, sinon de la mémoire, de ceux qui en sont sortis, avec le refoulement de leurs mauvais souvenirs.
Nous ne vous plaindrons pas de cet oubli, s'il nous laisse plus libre de vous présenter le dessein d'un retour à Freud, tel que certains se le proposent dans l'enseignement de la Société française de psychanalyse. Ce n'est pas d'un retour du refoulé qu'il s'agit pour nous, mais de prendre appui dans l'antithèse que constitue la phase parcourue depuis la mort de Freud dans le mouvement psychanalytique, pour démontrer ce que la psychanalyse n'est pas, et de chercher avec vous le moyen de remettre en vigueur ce qui n'a cessé de la soutenir dans sa déviation même, à savoir le sens premier que Freud y préservait par sa seule présence et qu'il s'agit ici d'expliciter.
Comment ce sens pourrait-il nous manquer quand il nous est attesté dans l'oeuvre la plus claire et la plus organique qui soit ? Et comment pourrait-il nous laisser hésitants quand l'étude de cette oeuvre nous montre que ses étapes et ses virages sont commandés par le souci, inflexiblement efficace chez Freud, de le maintenir dans sa rigueur première ?

Textes qui se montrent comparables à ceux-là même que la vénération humaine a revêtus en d'autres temps des plus hauts attributs, en ce qu'ils supportent l'épreuve de cette discipline du commentaire, dont on retrouve la vertu à s'en servir selon la tradition, non pas seulement pour replacer une parole dans le contexte de son temps, mais pour mesurer si la réponse qu'elle apporte aux questions qu'elle pose, est ou non dépassée par la réponse qu'on y trouve aux questions de l'actuel.

Vous apprendrai-je quelque chose, à vous dire que ces textes auxquels je consacre depuis quatre ans un séminaire de deux heures tous les mercredis de novembre à juillet, sans en avoir encore mis en oeuvre plus du quart, si tant est que mon commentaire suppose leur ensemble, - nous ont donné à moi comme à ceux qui m'y suivent, la surprise de véritables découvertes ? Elles vont de concepts restés inexploités à des détails cliniques laissés à la trouvaille de notre exploration, et qui témoignent de combien le champ dont Freud a fait l'expérience dépassait les avenues qu'il s'est chargé de nous y ménager, et à quel point son observation qui donne parfois l'impression d'être exhaustive, était peu asservie à ce qu'il avait à démontrer. Qui n'a pas été ému parmi les techniciens de disciplines étrangères à l'analyse que j'ai conduits à lire ces textes, de cette recherche en action : que ce soit celle qu'il nous fait suivre dans la Traumdeutung, dans l'observation de l'Homme aux loups ou dans l'Au-delà du principe du plaisir ? Quel exercice à former des esprits, et quel message à y prêter sa voix ! Quel contrôle aussi de la valeur méthodique de cette formation et de l'effet de vérité de ce message, quand les élèves à qui vous les transmettez vous apportent le témoignage d'une transformation, survenue parfois du jour au lendemain, de leur pratique, devenue plus simple et plus efficace avant même qu'elle leur devienne plus transparente. Je ne saurais vous rendre un compte extensif de ce travail dans la causerie que je dois à l'amabilité de M. le Professeur Hoff de vous faire en ce lieu de haute mémoire, à l'accord de mes vues avec celle du Dr Dozent Arnold d'avoir eu l'idée de la produire maintenant devant vous, à mes relations excellentes et déjà datées avec M. Igor Caruso de savoir quel accueil elle rencontrerait à Vienne.

Mais je ne puis oublier aussi les auditeurs que je dois à la complaisance de M. Susini, directeur de notre Institut français à Vienne. Et c'est pourquoi au moment d'en venir au sens de ce retour à Freud dont je fais profession ici, il me faut me demander, si pour moins préparés qu'ils soient que les spécialistes à m'entendre, je ne risque pas de les décevoir.

Je suis sûr ici de ma réponse : - Absolument pas, si ce que le vais dire est bien comme il doit être. Le sens d'un retour à Freud, c'est un retour au sens de Freud. Et le sens de ce qu'a dit Freud peut être communiqué à quiconque parce que, même adressé à tous, chacun y sera intéressé : un mot suffira pour le faire sentir, la découverte de Freud met en question la vérité, et il n'est personne qui ne soit personnellement concerné par la vérité.

Avouez que voilà un propos bien étrange que de vous jeter à la tête ce mot qui passe presque pour mal famé, d'être proscrit des bonnes compagnies. Je demande pourtant s'il n'est pas inscrit au coeur même de la pratique analytique, puisque aussi bien celle-ci toujours refait la découverte du pouvoir de la vérité en nous et jusqu'en notre chair.

En quoi l'inconscient serait-il en effet plus digne d'être reconnu que les défenses qui s'y opposent dans le sujet avec un succès qui les fait apparaître non moins réelles ? Je ne relève pas ici le commerce de la pacotille nietzschéenne du mensonge de la vie, ni ne m'émerveille qu'on croie croire, ni n'accepte qu'il suffise qu'on le veuille bien pour vouloir. Mais je demande d'où provient cette paix qui s'établit à reconnaître la tendance inconsciente, si elle n'est pas plus vraie que ce qui la contraignait dans le conflit ? Aussi bien n'est-ce pas que cette paix depuis quelque temps ne s'avère vite être une paix manquée, puisque non contents d'avoir reconnu comme inconscientes les défenses à attribuer au moi, les psychanalystes en identifient de plus en plus les mécanismes - déplacement quant à l'objet, renversement contre le sujet, régression de la forme, - à la dynamique même que Freud avait analysée dans la tendance, laquelle ainsi semble s'y continuer à un changement de signe près. Le comble eût-il pas atteint quand on admet que la pulsion elle-même puisse être amenée par la défense à la conscience pour éviter que le sujet s'y reconnaisse ?

Encore me sers-je, pour traduire l'exposé de ces mystères en un discours cohérent, de mots qui malgré moi y rétablissent la dualité qui les soutient. Mais ce n'est pas que les arbres du cheminement technique cachent la forêt de la théorie que je déplore, c'est qu'il s'en faille de si peu qu'on ne se croie dans la forêt de Bondy, exactement de ceci qui s'esquive derrière chaque arbre, qu'il doit y avoir des arbres plus vrais que les autres, ou, si vous voulez, que tous les arbres ne sont pas des bandits. Faute de quoi l'on demanderait où sont les bandits qui ne sont pas des arbres. Ce peu donc dont il va de tout en l'occasion, peut-être mérite-t-il qu'on s'en explique ? Cette vérité sans quoi il n'y a plus moyen de discerner le visage du masque, et hors laquelle il apparaît n'y avoir pas d'autre monstre que le labyrinthe lui-même, quelle est-elle ? Autrement dit, en quoi se distinguent-ils entre eux en vérité, s'ils sont tous d'une égale réalité ?

Ici les gros sabots s'avancent pour chausser les pattes de colombe sur lesquelles, on le sait, la vérité se porte, et engloutir à l'occasion l'oiseau avec : notre critère, s'écrie-t-on, est simplement économique, idéologue que vous êtes. Tous les arrangements de la réalité ne sont pas également économiques. Mais au point où la vérité s'est déjà portée, l'oiseau s'échappe et sort indemne avec notre question : - Economiques pour qui ?

Cette fois l'affaire va trop loin. L'adversaire ricane : "On voit ce que c'est. Monsieur donne dans la philosophie. Dans un moment, entrée de Platon et de Hegel. Ces signatures nous suffisent. Ce qu'elles avalisent est à mettre au panier, et quand même, comme vous l'avez dit, cela concernerait tout le monde, cela n'intéresse pas les spécialistes que nous sommes. Ça ne trouve même pas à se classer dans notre documentation."

Vous pensez que je raille en ce discours. Nullement, j'y souscris.

Si Freud n'a pas apporté autre chose à la connaissance de l'homme que cette vérité qu'il y a du véritable, il n'y a pas de découverte freudienne. Freud prend place alors dans la lignée des moralistes en qui s'incarne une tradition d'analyse humaniste, voie lactée au ciel de la culture européenne où Balthazar Gracian et La Rochefoucauld font figure d'étoiles de première grandeur et Nietzsche d'une nova aussi fulgurante que vite rentrée dans les ténèbres. Dernier venu d'entre eux et comme eux stimulé sans doute par un souci proprement chrétien de l'authenticité du mouvement de l'âme, Freud a su précipiter toute une casuistique en une carte du Tendre où l'on n'a que faire d'une orientation pour les offices auxquels on la destine. Son objectivité est en effet strictement liée à la situation analytique, laquelle entre les quatre murs qui limitent son champ, se passe fort bien qu'on sache où est le nord puisqu'on l'y confond avec l'axe long du divan, tenu pour dirigé vers la personne de l'analyste. La psychanalyse est la science des mirages qui s'établissent dans ce champ. Expérience unique, au demeurant assez abjecte, mais qui ne saurait être trop recommandée à ceux qui veulent s'introduire au principe des folies de l'homme, car, pour se montrer parente de toute une gamme d'aliénations, elle les éclaire.

Ce langage est modéré, ce n'est pas moi qui l'invente. On a pu entendre un zélote d'une psychanalyse prétendue classique définir celle-ci comme une expérience dont le privilège est strictement lié aux formes qui règlent sa pratique et qu'on ne saurait changer d'une ligne, parce qu'obtenues par un miracle du hasard, elles détiennent l'accès à une réalité transcendante aux aspects de l'histoire, et où le goût de l'ordre et l'amour du beau par exemple ont leur fondement permanent à savoir les objets de la relation pré-oedipienne, merde et cornes au cul.

Cette position ne saurait être réfutée puisque les règles s'y justifient par leurs issues, lesquelles sont tenues pour probantes du bien-fondé des règles. Pourtant nos questions se reprennent à pulluler. Comment ce prodigieux hasard s'est-il produit ? D'où vient cette contradiction entre le micmac préœdipien où se réduit la relation analytique pour nos modernes, et le fait que Freud ne s'en trouvait satisfait qu'il ne l'eût ramenée à la position de l'œdipe ? Comment la sorte d'osculation en serre chaude où confine ce new-look de l'expérience peut-elle être le dernier terme d'un progrès qui paraissait au départ ouvrir des voies multipliées entre tous les champs de la création, - ou la même question posée à l'envers ? Si les objets décelés en cette fermentation élective ont été ainsi découverts par une autre voie que la psychologie expérimentale, celle-ci est-elle habilitée à les retrouver par ses procédés ?

Les réponses que nous obtiendrons des intéressés ne laissent pas de doute. Le moteur de l'expérience, même motivé en leurs termes, ne saurait être seulement cette vérité de mirage qui se réduit au mirage de la vérité. Tout est parti d'une vérité particulière, d'un dévoilement qui a fait que la réalité n'est plus pour nous telle qu'elle était avant, et c'est là ce qui continue à accrocher au vif des choses humaines la cacophonie insensée de la théorie, comme à empêcher la pratique de se dégrader au niveau des malheureux qui n'arrivent pas à s'en sortir (entendez que j'emploie ce terme pour en exclure les cyniques).

Une vérité, s'il faut dire, n'est pas facile à reconnaître, après qu'elle a été une fois reçue. Non qu'il n'y ait des vérités établies, mais elles se confondent alors si facilement avec la réalité qui les entoure, que pour les en distinguer on n'a longtemps trouvé d'autre artifice que de les marquer du signe de l'esprit, et pour leur rendre hommage, de les tenir pour venues d'un autre monde. Ce n'est pas tout de mettre au compte d'une sorte d'aveuglement de l'homme, le fait que la vérité ne soit jamais pour lui si belle fille qu'au moment où la lumière élevée par son bras dans l'emblème proverbial, la surprend nue. Et il faut faire un peu la bête pour feindre de ne rien savoir de ce qu'il en advient après. Mais la stupidité demeure d'une franchise taurine à se demander où l'on pouvait bien la chercher avant, l'emblème n'y aidant guère à indiquer le puits, lieu malséant voire malodorant, plutôt que l'écrin où toute forme précieuse doit se conserver intacte.

Mais voici que la vérité dans la bouche de Freud prend ladite bête aux cornes : "Je suis donc pour vous l'énigme de celle qui se dérobe aussitôt qu'apparue, hommes qui tant vous entendez à me dissimuler sous les oripeaux de vos convenances. Je n'en admets pas moins que votre embarras soit sincère, car même quand vous vous faites mes hérauts, vous ne valez pas plus à porter mes couleurs que ces habits qui sont les vôtres et pareils à vous-mêmes, fantômes que vous êtes. Où vais-je donc passée en vous, où étais-je avant ce passage ? Peut-être un jour vous le dirai-je ? Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle.

"Faut-il vous faire remarquer que vous ne le saviez pas encore ? Quelques-uns certes parmi vous, qui s'autorisaient d'être mes amants, sans doute en raison du principe qu'en ces sortes de vantardises on n'est jamais si bien servi que par soi-même, avaient posé de façon ambiguë et non sans que la maladresse n'apparût de l'amour-propre qui les y intéressait, que les erreurs de la philosophie, entendez les leurs, ne pouvaient subsister que de mes subsides. A force d'étreindre pourtant ces filles de leur pensée, ils finirent par les trouver aussi fades qu'elles étaient vaines, et se remirent à frayer avec les opinions vulgaires selon les mœurs des anciens sages qui savaient mettre ces dernières à leur rang, conteuses ou plaideuses, artificieuses, voire menteuses, mais aussi les chercher à leur place, au foyer et au forum, à la forge ou à la foire. Il s'aperçurent alors qu'à n'être pas mes parasites, celles-ci semblaient me servir bien plus, qui sait même ? être ma milice, les agents secrets de ma puissance. Plusieurs cas observés au jeu de pigeon-vole, de mues soudaines d'erreurs en vérité, qui ne semblaient rien devoir qu'à l'effet de la persévérance, les mirent sur la voie de cette découverte. Le discours de l'erreur, son articulation en acte, pouvait témoigner de la vérité contre l'évidence elle-même. C'est alors que l'un d'eux tenta de faire passer au rang des objets dignes d'étude la ruse de la raison. Il était malheureusement professeur, et vous fûtes trop heureux de retourner contre ses propos les oreilles d'âne dont on vous coiffait à l'école et qui depuis font usage de cornets à ceux des vôtres dont la feuille est un peu dure. Restez-en donc à votre vague sens de l'histoire et laissez les habiles fonder sur la garantie de ma firme à venir le marché mondial du mensonge, le commerce de la guerre totale et la nouvelle loi de l'autocritique. Si la raison est si rusée que Hegel l'a dit, elle fera bien sans vous son ouvrage.

Mais vous n'avez pas pour autant tendues désuètes ni sans terme vos échéances à mon endroit. C'est d'après hier et d'avant demain qu'elles sont datées. Et il importe peu que vous vous ruiez en avant pour leur faire honneur ou pour vous y soustraire, car c'est par derrière qu'elles vous saisiront dans les deux cas. Que vous me fuyiez dans la tromperie ou pensiez me rattraper dans l'erreur, je vous rejoins dans la méprise contre laquelle vous êtes sans refuge. Là où la parole la plus haute montre un léger trébuchement, c'est à sa perfidie qu'elle manque, je le publie maintenant, et ce sera dès lors un peu plus coton de faire comme si de rien n'était, dans la société bonne ou mauvaise. Mais nul besoin de vous fatiguer à mieux vous surveiller. Quand même les juridictions conjointes de la politesse et de la politique décréteraient non recevable tout ce qui se réclamerait de moi à se présenter de façon si illicite, vous n'en seriez pas quittes pour si peu, car l'intention la plus innocente se déconcerte à ne pouvoir plus taire que ses actes manqués sont les plus réussis et que son échec récompense son vœu le plus secret. Au reste n'est-ce pas assez pour juger de votre défaite, de me voir m'évader d'abord du donjon de la forteresse où vous croyez le plus sûrement me retenir en me situant non pas en vous, mais dans l'être lui-même ? Je vagabonde dans ce que vous tenez pour être le moins vrai par essence dans le rêve, dans le défi au sens de la pointe la plus gongorique et le non-sens du calembour le plus grotesque, dans le hasard, et non pas dans sa loi, mais dans sa contingence, et je ne procède jamais plus sûrement à changer la face du monde qu'à lui donner le profil du nez de Cléopâtre.

"Vous pouvez donc réduire le trafic sur les voies que vous vous épuisâtes à faire rayonner de la conscience, et qui faisaient l'orgueil du moi, couronné par Fichte des insignes de sa transcendance. Le commerce au long cours de la vérité ne passe plus par la pensée : chose étrange, il semble que ce soit désormais par les choses : rébus, c'est par vous que je communique, comme Freud le formule à la fin du premier paragraphe du sixième chapitre, consacré au travail du rêve, de son travail sur le rêve et sur ce que le rêve veut dire.

"Mais vous allez y prendre garde : la peine qu'a eue celui-ci à devenir professeur, lui épargnera peut-être votre négligence, sinon votre égarement, continue la prosopopée. Entendez bien ce qu'il a dit, et, comme il l'a dit de moi, la vérité qui parle, le mieux pour le bien saisir est de le prendre au pied de la lettre. Sans doute ici les choses sont mes signes, mais je vous le redis, signes de ma parole. Le nez de Cléopâtre, s'il a changé le cours du monde, c'est d'être entré dans son discours, car pour le changer long ou court, il a suffi mais il fallait qu'il fût un nez parlant.

"Mais c'est du vôtre maintenant qu'il va falloir vous servir, bien qu'à des fins plus naturelles. Qu'un flair plus sûr que toutes vos catégories vous guide dans la course où je vous provoque car si la ruse de la raison, si dédaigneuse qu'elle fût de vous, restait ouverte à votre foi, je serai, moi la vérité, contre vous la grande trompeuse, puisque ce n'est pas seulement par la fausseté que passent mes voies, mais par la faille trop étroite à trouver au défaut de la feinte et par la nuée sans accès du rêve, par la fascination sans motif du médiocre et l'impasse séduisante de l'absurdité. Cherchez, chiens que vous devenez à m'entendre, limiers que Sophocle a préféré lancer sur les traces hermétiques du voleur d'Apollon qu'aux trousses sanglantes d'œdipe, sûr qu'il était de trouver avec lui au rendez-vous sinistre de Colonne l'heure de la vérité. Entrez en lice à mon appel et hurlez à ma voix. Déjà vous voilà perdus, je me démens, je vous défie, je me défile : vous dites que je me défends."

Le retour aux ténèbres que nous tenons pour attendu à ce moment, donne le signal d'une murder party engagée par l'interdiction à quiconque de sortir, puisque chacun dès lors peut cacher la vérité sous sa robe, voire, comme en la fiction galante des "bijoux indiscrets", dans son ventre. La question générale est qui parle ? et elle n'est pas sans pertinence. Malheureusement les réponses sont un peu précipitées. La libido est d'abord accusée, ce qui nous porte dans la direction des bijoux, mais il faut bien s'apercevoir que le moi lui-même, s'il apporte des entraves à la libido en mal de se satisfaire, est parfois l'objet de ses entreprises. On sent là-dessus qu'il va s'effondrer d'une minute à l'autre, quand un fracas de débris de verre apprend à tous que c'est à la grande glace du salon que l'accident vient d'arriver, le golem du narcissisme, évoqué en toute hâte pour lui porter assistance, ayant fait par là son entrée. Le moi dès lors est généralement tenu pour l'assassin, à moins que ce ne soit pour la victime, moyennant quoi les rayons divins du bon président Schreber commencent à déployer leur filet sur le monde, et le sabbat des instincts se complique sérieusement.

La comédie que je suspends ici au début de son second acte est plus bienveillante qu'on ne croit, puisque faisant porter sur un drame de la connaissance la bouffonnerie qui n'appartient qu'à ceux qui jouent ce drame sans le comprendre, elle restitue à ces derniers l'authenticité d'où ils déchurent toujours plus.

Mais si une métaphore plus grave convient au protagoniste, c'est celle qui nous montrerait en Freud un Actéon perpétuellement lâché par des chiens dès l'abord dépistés, et qu'il s'acharne à relancer à sa poursuite, sans pouvoir ralentir la course où seule sa passion pour la déesse le mène. Le mène si loin qu'il ne peut s'arrêter qu'aux grottes où la Diane chthonienne dans l'ombre humide qui les confond avec le gîte emblématique de la vérité, offre à sa soif, avec la nappe égale de la mort, la limite quasi mystique du discours le plus rationnel qui ait été au monde, pour que nous y reconnaissions le lieu où le symbole se substitue à la mort pour s'emparer de la première boursouflure de la vie.

Cette limite et ce lieu, on le sait, sont loin encore d'être atteints pour ses disciples, si tant est qu'ils ne refusent pas de l'y suivre, et l'Actéon donc qui ici est dépecé, n'est pas Freud, mais bien chaque analyste à la mesure de la passion qui l'enflamma et qui a fait, selon la signification qu'un Giordano Bruno dans ses Fureurs héroïques sut tirer de ce mythe, de lui la proie des chiens de ses pensées.

Pour mesurer ce déchirement, il faut entendre les clameurs irrépressibles qui s'élèvent des meilleurs comme des pires, à tenter de les ramener au départ de la chasse, avec les mots que la vérité nous y donna pour viatique "je parle", pour enchaîner : "Il n'est parole que de langage". Leur tumulte couvre la suite.

"Logomachie ! telle est la strophe d'un côté. Que faites-vous du préverbe, du geste et de la mimique, du ton, de l'air de la chanson, de l'humeur et du contact affectif ?" A quoi d'autres non moins animés donnent l'antistrophe. Tout est langage que mon coeur qui bat plus fort quand la venette me saisit, et si ma patiente défaille au vrombissement d'un avion à son zénith, c'est pour dire le souvenir qu'elle a gardé du dernier bombardement". - Oui, aigle de la pensée, et quand la forme de l'avion découpe ta semblance dans le pinceau perçant la nuit du projecteur, c'est la réponse du ciel.

On ne contestait pourtant, à s'essayer à ces prémisses, l'usage d'aucune forme de communication à quoi quiconque pût recourir en ses exploits, ni les signaux, ni les images, et fonds ni forme, aucun non plus qu'aucun ; ce fonds fût-il un fonds de sympathie, et la vertu n'étant pas discutée d'aucune bonne forme.

On se prenait seulement à répéter après Freud le mot de sa découverte : ça parle, et là sans doute où l'on s'y attendait le moins, là où ça souffre. S'il fut un temps où il suffisait pour y répondre d'écouter ce que ça disait, (car à l'entendre la réponse y est déjà), tenons donc que les grands des origines, les géants du fauteuil furent frappés de la malédiction promise aux audaces titanesques, ou que leurs sièges cessèrent d'être conducteurs de la bonne parole dont ils se trouvaient investis à s'y asseoir ci-devant. Quoi qu'il en soit, depuis, entre le psychanalyste et la psychanalyse, on multiplie les rencontres dans l'espoir que l'Athénien s'atteigne avec l'Athéna, sortie couverte de ses armes du cerveau de Freud. Dirai-je le sort jaloux, toujours pareil, qui contraria ces rendez-vous sous le masque où chacun devait rencontrer sa promise, hélas ! trois fois hélas ! et cri d'horreur à y penser, une autre ayant pris la place d'elle, celui qui était là, non plus n'était pas lui.

Revenons donc posément à épeler avec la vérité ce qu'elle a dit d'elle-même. La vérité a dit : "Je parle". Pour que nous reconnaissions ce "je" à ce qu'il parle, peut-être n'était-ce pas sur le "je" qu'il fallait nous jeter, mais aux arêtes du parler que nous devions nous arrêter. "Il n'est parole que de langage" nous rappelle que le langage est un ordre que des lois constituent, desquelles nous pourrions apprendre au moins ce qu'elles excluent. Par exemple que le langage, c'est différent de l'expression naturelle et que ce n'est pas non plus un code ; que ça ne se confond pas avec l'information, collez-vous-y pour le savoir à la cybernétique ; et que c'est si peu réductible à une superstructure qu'on vit le matérialisme lui-même s'alarmer de cette hérésie, bulle de Staline à voir ici.

Si vous voulez en savoir plus, lisez Saussure, et comme un clocher peut cacher même le soleil, je précise qu'il ne s'agit pas de la signature qu'on rencontre en psychanalyse, mais de Ferdinand, qu'on peut dire le fondateur de la linguistique moderne.

Un psychanalyste doit aisément s'y introduire à la distinction fondamentale du signifiant et du signifié, et commencer à s'exercer avec les deux réseaux qu'ils organisent de relations qui ne se recouvrent pas.

Le premier réseau, du signifiant, est la structure synchronique du matériel du langage en tant que chaque élément y prend son emploi exact d'être différent des autres ; tel est le principe de répartition qui règle seul la fonction des éléments de la langue à ses différents niveaux, depuis le couple d'opposition phonématique jusqu'aux locutions composées dont c'est la tâche de la plus moderne recherche que de dégager les formes stables.

Le second réseau, du signifié, est l'ensemble diachronique des discours concrètement prononcés, lequel réagit historiquement sur le premier, de même que la structure de celui-ci commande les voies du second. Ici ce qui domine, c'est l'unité de signification, laquelle s'avère ne jamais se résoudre en une pure indication du réel, mais toujours renvoyer à une autre signification. C'est-à-dire que la signification ne se réalise qu'à partir d'une prise des choses qui est d'ensemble.

Son ressort ne peut être saisi au niveau où elle s'assure ordinairement de la redondance qui lui est propre, car elle s'avère toujours en excès sur les choses qu'elle laisse en elle flottantes.

Le signifiant seul garantit la cohérence théorique de l'ensemble comme ensemble. Cette suffisance se confirme du développement dernier de la science, comme à la réflexion on la trouve implicite à l'expérience linguistique primaire.

Telles sont les bases qui distinguent le langage du signe. A partir d'elles la dialectique prend un nouveau tranchant.

Car la remarque sur laquelle Hegel fonde sa critique de la belle âme et selon quoi elle est dite vivre (en tous les sens, fût-il économique, du : de quoi vivre) précisément du désordre qu'elle dénonce, n'échappe à la tautologie qu'à maintenir la tauto-ontique de la belle âme comme médiation, d'elle-même non reconnue, de ce désordre comme premier dans l'être.

Quelque dialectique qu'elle soit, cette remarque ne saurait ébranler le délire de la présomption auquel Hegel l'appliquait, restant prise dans le piège offert par le mirage de la conscience au je infatué de son sentiment, qu'il érige en loi du coeur.

Sans doute ce "je" dans Hegel est défini comme un être légal, en quoi il est plus concret que l'être réel dont on pensait précédemment pouvoir l'abstraire : comme il appert à ce qu'il comporte un état-civil et un état-comptable.

Mais il était à Freud réservé de rendre cet être légal responsable du désordre manifeste au champ le plus fermé de l'être réel, nommément dans la pseudo-totalité de l'organisme.

Nous en expliquons la possibilité par la béance congénitale que présente l'être réel de l'homme dans ses relations naturelles, et par la reprise à un usage parfois idéographique, mais aussi bien phonétique voire grammatical, des éléments imaginaires qui apparaissent morcelés dans cette béance.

Mais nul besoin de cette genèse pour que la structure signifiante du symptôme soit démontrée. Déchiffrée, elle est patente et montre imprimée sur la chair l'omniprésence pour l'être humain de la fonction symbolique.

Ce qui distingue une société qui se fonde dans le langage d'une société animale, voire ce que permet d'en apercevoir le recul ethnologique : à savoir que l'échange qui caractérise une telle société a d'autres fondements que les besoins même à y satisfaire, ce qu'on a appelé le don "comme fait social total", - tout cela dès lors est reporté bien plus loin, jusqu'à faire objection à définir cette société comme une collection d'individus, quand l'immixtion des sujets y fait un groupe d'une bien autre structure.

C'est faire rentrer d'un tout autre accès l'incidence de la vérité comme cause et imposer une révision du procès de la causalité. Dont la première étape semblerait de reconnaître ce que l'hétérogénéité de cette incidence y aurait d'inhérent. II est étrange que la pensée matérialiste semble oublier que c'est de ce recours à l'hétérogène qu'elle a pris son élan. Et l'on s'intéresserait plus alors à un trait bien plus frappant que la résistance opposée à Freud par les pédants, c'est la connivence qu'elle a rencontrée dans la conscience commune.

Si toute causalité vient à témoigner d'une implication du sujet, nul doute que tout conflit d'ordre ne soit remis à sa charge.

Les termes dont nous posons ici le problème de l'intervention psychanalytique, font, pensons-nous, assez sentir que l'éthique n'en est pas individualiste.

Mais sa pratique dans la sphère américaine s'est ravalée si sommairement à un moyen d'obtenir le "success" et à un mode d'exigence de la "happiness" qu'il convient de préciser que c'est là le reniement de la psychanalyse, celui qui résulte chez trop de ses tenants du fait pur et radical qu'ils n'ont jamais rien voulu savoir de la découverte freudienne et qu'ils n'en sauront jamais rien, même au sens du refoulement : car il s'agit en cet effet du mécanisme de la méconnaissance systématique en ce qu'il simule le délire même dans ses formes de groupe.

Une référence plus rigoureuse de l'expérience analytique à la structure générale de la sémantique où elle a ses racines, eût pourtant permis de les convaincre avant d'avoir à les vaincre.

Car ce sujet dont nous parlions à l'instant comme du légataire de la vérité reconnue, n'est justement pas le moi perceptible dans les données plus ou moins immédiates de la jouissance consciente ou de l'aliénation laborieuse. Cette distinction de fait est la même qui se retrouve de l'a de l'inconscient freudien en tant qu'il est séparé par un abîme des fonctions préconscientes, à l'w du testament de Freud en la 31è de ses Neue Vorlesungen, Wo Es war' solI Ich werden.

Formule où la structuration signifiante montre assez sa prévalence.

Analysons-la. Contrairement à la forme que ne peut éviter la traduction anglaise : "Where the id was, there the ego shall be", Freud n'a pas dit : das Es, ni das Ich, comme il le fait habituellement pour désigner ces instances où il a ordonné alors depuis dix ans sa nouvelle topique, et ceci, vu la rigueur inflexible de son style, donne à leur emploi dans cette sentence un accent particulier. De toute façon, sans même avoir à confirmer par la critique interne de l'oeuvre de Freud qu'il a bien écrit Das Ich und das Es pour maintenir cette distinction fondamentale entre le sujet véritable de l'inconscient et le moi comme constitué en son noyau par une série d'identifications aliénantes, - il apparaît ici que c'est au lieu Wo, où Es, sujet dépourvu d'aucun das ou autre article objectivant, war, était, c'est d'un lieu d'être qu'il s'agit, et qu'en ce lieu : soll, c'est un devoir au sens moral qui là s'annonce, comme le confirme l'unique phrase qui succède à celle-ci pour clore le chapitre, Ich, je, là dois-je (comme on annonçait : ce suis-je, avant qu'on dise : c'est moi), werden, devenir, c'est-à-dire non pas survenir, ni même advenir, mais venir au jour de ce lieu même en tant qu'il est lieu d'être.

C'est ainsi que nous consentirions, contre les principes d'économie significative qui doivent dominer une traduction, à forcer un peu en français les formes du signifiant pour les aligner au poids que l'allemand reçoit mieux ici d'une signification encore rebelle, et pour cela de nous servir de l'homophonie du es allemand avec l'initiale du mot : sujet. Du même pas en viendrons-nous à une indulgence au moins momentanée pour la traduction première qui fut donnée du mot es par le soi, le ça qui lui fut préféré - non sans motif ne nous paraissant pas beaucoup plus adéquat, puisque c'est au das allemand de was ist das ? qu'il répond dans das ist, c'est. Ainsi le c' élidé qui va apparaître si nous nous en tenons à l'équivalence reçue, nous suggère-t-il la production d'un verbe : s'être, où s'exprimerait le mode de la subjectivité absolue, en tant que Freud l'a proprement découverte dans son excentricité radicale "Là où c'était, peut-on dire, là où s'était, voudrions-nous faire qu'on entendît, c'est mon devoir que je vienne à être."

Vous entendez bien que ce n'est pas dans une conception grammaticale des fonctions où ils apparaissent, qu'il s'agit d'analyser si et comment le je et le moi se distinguent et se recouvrent dans chaque sujet particulier.

Ce que la conception linguistique qui doit former le travailleur dans son initiation de base lui apprendra, c'est à attendre du symptôme qu'il fasse la preuve de sa fonction de signifiant, c'est-à-dire de ce par quoi il se distingue de l'indice naturel que le même terme désigne couramment en médecine. Et pour satisfaire à cette exigence méthodique, il s'obligera à reconnaître son emploi conventionnel dans les significations suscitées par le dialogue analytique. (Dialogue dont nous allons tenter de dire la structure.) Mais ces significations mêmes, il les tiendra pour ne pouvoir être saisies avec certitude que dans leur contexte, soit dans la séquence que constituent pour chacune la signification qui renvoie à elle et celle à quoi elle renvoie dans le discours analytique.

Ces principes de base entrent aisément en application dans la technique, et en l'éclairant, ils dissipent beaucoup des ambiguïtés qui, pour se maintenir même dans les concepts majeurs du transfert et de la résistance, rendent ruineux l'usage que l'on en fait dans la pratique.