Espaces Lacan
AMPLIFICATION
D'UNE CONFÉRENCE PRONONCEE
à
la clinique NEURO-PSYCHIATRIQUE DE VIENNE, le 7 novembre I955
par Jacques Lacan
La
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La
chose freudienne (2)
La
résistance aux résistants
Intermède
Le discours de l'autre
La passion imaginaire
L'action analytique
Le lieu de la parole
La dette symbolique
La formation des analystes à
venir
A considérer seulement la résistance dont l'emploi se confond de plus en plus avec celui de la défense, et tout ce qu'elle implique dans ce sens comme manœuvres de réduction dont on ne peut plus s'aveugler sur la coercition qu'elles exercent, il est bon de rappeler que la première résistance à quoi l'analyse a à faire, c'est celle du discours lui-même en tant qu'il est d'abord discours de l'opinion, et que toute objectivation psychologique s'avérera solidaire de ce discours. C'est en effet ce qui a motivé la simultanéité remarquable avec laquelle les burgraves de l'analyse sont arrivés à un point mort de leur pratique vers les années 1920 : c'est qu'ils en savaient dès lors trop et pas assez, pour en faire reconnaître à leurs patients, qui n'en savaient guère moins, la vérité.
Mais le principe dès lors adopté de la primauté à accorder à l'analyse de la résistance, est loin d'avoir conduit à un développement favorable. Pour la raison que faire passer une opération en première urgence, ne suffit à lui faire atteindre son objectif, si l'on ne sait pas bien en quoi il consiste.
Or c'est précisément vers un renforcement de la position objectivante chez le sujet que l'analyse de la résistance s'est orientée, au point que cette directive s'étale maintenant dans les principes à donner à la conduite d'une cure-type.
Bien loin donc qu'il faille maintenir le sujet dans un état d'observation, il faut qu'on sache qu'à l'y engager, on entre dans le cercle d'un malentendu que rien ne pourra briser dans la cure, pas plus que dans la critique. Toute intervention dans ce sens ne pourrait donc se justifier que d'une fin dialectique, à savoir de démontrer sa valeur d'impasse.
Mais j'irai plus loin et pour dire : vous ne pouvez à la fois procéder vous-même à cette objectivation du sujet et lui parler comme il convient. Et ce pour une raison qui n'est pas seulement qu'on ne peut à la fois, comme dit le proverbe anglais, manger son gâteau et le garder : c'est-à-dire avoir vis-à-vis des mêmes objets deux conduites dont les conséquences s'excluent. Mais pour le motif plus profond qui s'exprime dans la formule qu'on ne peut servir deux maîtres, c'est-à-dire conformer son être à deux actions qui s'orientent en sens contraire.
Car l'objectivation en matière psychologique est soumise dans son principe à une loi de méconnaissance qui régit le sujet non seulement comme observé, mais comme observateur. C'est-à-dire que ce n'est pas de lui que vous avez à lui parler, car il suffit à cette tâche, et ce faisant, ce n'est même pas à vous qu'il parle si c'est à lui que vous avez à parler, c'est littéralement d'autre chose, c'est-à-dire d'une chose autre que ce dont il s'agit quand il parle de lui, et qui est la chose qui vous parle, chose qui, quoi qu'il dise, lui resterait à jamais inaccessible, si d'être une parole qui s'adresse à vous elle ne pouvait évoquer en vous sa réponse et si, d'en avoir entendu le message sous cette forme inversée, vous ne pouviez, à le lui retourner, lui donner la double satisfaction de l'avoir reconnu et de lui en faire reconnaître la vérité.
Cette vérité que nous connaissons ainsi ne pouvons-nous donc la connaître ? Adaequatiorei et intellectus, tel se définit le concept de la vérité depuis qu'il y a des penseurs, et qui nous conduisent dans les voies de leur pensée. Un intellect comme le nôtre sera bien à la hauteur de cette chose qui nous parle, voire qui parle en nous, et même à se dérober derrière le discours qui ne dit rien que pour nous faire parler, il ferait beau voir qu'elle ne trouve pas à qui parler.
C'est bien la grâce
que je vous souhaite, c'est d'en parler qu'il s'agit maintenant, et
la parole est à ceux qui mettent la chose en pratique.
Intermède
Ne vous attendez pourtant à rien de trop ici, car depuis que la chose psychanalytique est devenue chose reçue et que ses servants vont chez la manucure, le ménage qu'ils font s'accommode de sacrifices au bon ton, ce qui pour les idées dont les psychanalystes n'ont jamais eu à revendre, est bien commode : les idées en solde pour tous feront le solde de ce qui manque à chacun. Nous sommes gens assez au fait des choses pour savoir que le chosisme n'est pas bien porté ; et voilà notre pirouette toute trouvée.
"Qu'allez-vous chercher autre chose que ce moi que vous distinguez, avec défense à nous d'y voir ? nous rétorque-t-on. Nous l'objectivons, soit. Quel mal y a-t-il à cela ?". Ici c'est à pas de loup que procèdent les souliers fins pour nous porter à la figure le coup de savate que voici : croyez-vous donc que le moi puisse être pris pour une chose, ce n'est pas nous qui mangeons de ce pain-là.
De trente-cinq ans de cohabitation avec le moi sous le toit de la seconde topique freudienne, dont dix de liaison plutôt orageuse, régularisée enfin par le ministère de mademoiselle Anna Freud en un mariage dont le crédit social n'a fait qu'aller en augmentant, au point qu'on m'assure qu'il demandera bientôt à se faire bénir par l'Eglise, en un mot comme en cent, de l'expérience la plus suivie des psychanalystes, vous ne tirerez rien de plus que ce tiroir.
Il est vrai qu'il est rempli jusqu'au bord de vieilles nouveautés et de nouvelles vieilleries dont l'amas ne laisse pas d'être divertissant. Le moi est une fonction, le moi est une synthèse, une synthèse de fonctions, une fonction de synthèse. Il est autonome ! Celle-là est bien bonne. C'est le dernier fétiche introduit au saint des saints de la pratique qui s'autorise de la supériorité des supérieurs. Il en vaut bien un autre en cet emploi, chacun sachant que pour cette fonction, elle tout à fait réelle, c'est l'objet le plus démodé, le plus sale et le plus repoussant qui fait toujours le mieux l'affaire. Que celui-ci vaille à son inventeur la vénération qu'il recueille là où il est en service, passe encore, mais le plus beau est qu'il lui confère dans des milieux éclairés le prestige d'avoir fait rentrer la psychanalyse dans les lois de la psychologie générale. C'est comme si S. E. l'Agakhan, non content de recevoir le fameux pesant d'or qui ne lui nuit pas dans l'estime de la société cosmopolite, se voyait décerner le prix Nobel pour avoir distribué en échange à ses zélateurs le règlement détaillé du pari mutuel.
Mais la dernière trouvaille est la meilleure : le moi, comme tout ce que nous manions depuis quelque temps dans les sciences humaines, est une notion o-pé-ra-tion-nelle.
Ici je prends recours auprès de mes auditeurs de ce chosisme naïf qui les maintient si bienséants sur ces bancs à m'écouter malgré le ballet des appels du service, pour qu'ils veuillent bien avec moi stopper c't o-pé.
En quoi cet o-pé distingue-t-il rationnellement ce qu'on fait de la notion du moi en analyse de l'usage courant de toute autre chose, de ce pupitre pour prendre la première qui nous tombe sous la main ? En si peu de chose que je me fais fort de démontrer que les discours qui les concernent, et c'est cela qui est en cause, coïncident point par point.
Car ce pupitre n'est pas moins que le moi tributaire du signifiant, soit du mot qui portant sa fonction au général auprès du lutrin de mémoire querelleuse et du meuble Tronchin de noble pedigree, fait qu'il n'est pas seulement de l'arbre bûcheronné, menuisé et recollé par l'ébéniste, à des fins de commerce solidaires des modes créatrices de besoins qui en soutiennent la valeur d'échange, sous la condition d'un dosage qui ne l'amène pas trop vite à satisfaire le moins superflu de ces besoins par l'usage dernier où le réduira son usure : nommément comme bois de chauffage.
D'autre part, les significations où renvoie le pupitre ne le cèdent en rien en dignité à celles que le moi intéresse, et la preuve, c'est qu'elles enveloppent à l'occasion le moi lui-même, si c'est par les fonctions que M. Heinz Hartmann lui attribue qu'un de nos semblables peut devenir notre pupitre : à savoir, maintenir une position convenable à ce qu'il y met de consentement. Fonction opérationnelle sans doute qui permettra audit semblable d'échelonner en lui toutes les valeurs possibles de la chose qu'est ce pupitre depuis la location onéreuse qui maintint et maintient encore la cote du petit bossu de la rue Quincampoix au-dessus des vicissitudes et de la mémoire elle-même du premier grand krach spéculatif des temps modernes, en descendant par tous les offices de commodité familière, d'ameublement de l'espace, de cession vénale ou d'usufruit, jusqu'à l'usage, et pourquoi pas ? on a déjà vu ça, de combustible.
Ce n'est pas tout, car je suis prêt à prêter ma voix au vrai pupitre pour qu'il tienne discours sur son existence qui, tout ustensile qu'elle soit, est individuelle, sur son histoire qui, si radicalement aliénée qu'elle nous paraisse, a laissé des traces mémoriales auxquelles ne manque rien de ce qu'exige l'historien : des-documents-des-textes-des-notes-de-fournisseurs, sur sa destinée même qui, toute inerte qu'elle soit, est dramatique, puisqu'un pupitre est périssable, qu'il a été engendré dans le labeur, qu'il a un sort soumis à des hasards, à des traverses, à des avatars, à des prestiges, voire à des fatalités dont il devient l'intersigne, et qu'il est promis à une fin dont il n'est pas besoin qu'il sache rien pour qu'elle soit la sienne, puisque c'est la fin que l'on sait.
Mais il n'y aurait encore rien que de banal à ce qu'après cette prosopopée, l'un de vous rêve qu'il est ce pupitre doué ou non de la parole, et comme l'interprétation des rêves est maintenant chose connue sinon commune, il n'y aurait pas lieu d'être surpris qu'à déchiffrer l'emploi de signifiant que ce pupitre aura pris dans le rébus où le rêveur aura enfermé son désir, et à analyser le renvoi plus ou moins équivoque que cet emploi comporte aux significations qu'aura intéressées en lui la conscience de ce pupitre, avec ou sans son discours, nous touchions ce qu'on peut appeler le préconscient de ce pupitre.
Ici j'entends une protestation que, bien qu'elle soit réglée comme papier à musique, je ne sais trop comment nommer : c'est qu'à vrai dire elle relève de ce qui n'a de nom dans aucune langue, et qui, pour s'annoncer en général sous la motion nègre-blanc de la personnalité totale, résume tout ce qui nous tympanise en psychiatrie de phénoménologie à la gomme et dans la société de progressisme stationnaire. Protestation de la belle âme sans doute, mais sous les formes qui conviennent à l'être ni chair ni poisson, à l'air mi-figue mi-raisin, à la démarche entre chien et loup de l'intellectuel moderne, qu'il soit de droite ou de gauche. C'est en effet de ce côté que la protestation fictive de ceux qui provignent du désordre, trouve ses apparentements nobles. Ecoutons plutôt le ton de celle-ci.
Ce ton est mesuré mais grave : le préconscient non plus que la conscience, nous fait-on observer, ne sont pas du pupitre, mais de nous-mêmes qui le percevons et lui donnons son sens, avec d'autant moins de peine au reste que nous avons fabriqué la chose. Mais se fût-il agi d'un être plus naturel, il convient de ne jamais ravaler inconsidérément dans la conscience la forme haute qui, quelle que soit notre faiblesse dans l'univers, nous y assure une imprescriptible dignité, voyez roseau au dictionnaire de la pensée spiritualiste.
Il faut reconnaître qu'ici Freud m'incite à l'irrévérence par la façon dont, quelque part en passant et comme sans y toucher, il s'exprime sur les modes de provocation spontanée qui sont de règle dans la mise en action de la conscience universelle. Et ceci m'ôte toute gêne à poursuivre mon paradoxe.
La différence est-elle donc si grande entre le pupitre et nous quant à la conscience, s'il en acquiert si facilement le semblant, à être mis en jeu entre moi et vous, que mes phrases aient permis qu'on s'y trompe ? C'est ainsi qu'à être placé avec l'un de nous entre deux glaces parallèles, il sera vu se refléter indéfiniment, ce qui veut dire qu'il sera beaucoup plus semblable à celui qui regarde qu'on n'y pense, puisqu'à voir se répéter de la même façon son image, celui-ci aussi se voit bien par les yeux d'un autre quand il se regarde, puisque sans cet autre qu'est son image, il ne se verrait pas se voir.
Autrement dit le privilège du moi par rapport aux choses est à chercher ailleurs que dans cette fausse récurrence à l'infini de la réflexion qui constitue le mirage de la conscience, et qui malgré sa parfaite inanité, émoustille encore assez ceux qui travaillent de la pensée pour qu'ils y voient un progrès prétendu de l'intériorité, alors que c'est un phénomène topologique dont la distribution dans la nature est aussi sporadique que les dispositions de pure extériorité qui le conditionnent, si tant est que l'homme ait contribué à les répandre avec une fréquence immodérée.
Comment d'autre part écarter le terme de préconscient des affectations de ce pupitre, ou de celles qui se trouvent en puissance ou en acte en aucune autre chose, et qui de s'ajuster aussi exactement à mes affections, viendront à la conscience avec elles ?
Que le moi soit le siège de perceptions et non pas le pupitre, nous le voulons bien, mais il reflète en cela l'essence des objets qu'il perçoit et non pas la sienne cri tant que la conscience serait son privilège, puisque ces perceptions sont pour la plus grande part inconscientes.
Ce n'est pas pour rien du reste que nous repérions l'origine de la protestation dont nous devons nous occuper ici, dans ces formes bâtardes de la phénoménologie qui enfument les analyses techniques de l'action humaine et spécialement celles qui seraient requises en médecine. Si leur matière à bon marché, pour employer ce qualificatif que M. Jaspers affecte spécialement à son estimation de la psychanalyse, est bien ce qui donne à l'oeuvre de celui-ci son style, comme son poids à sa statue de directeur de conscience en fonte et de maître à penser de fer-blanc, elles ne sont pas sans usage, et c'est même toujours le même faire diversion.
On s'en sert ici par exemple pour ne pas aller au fait que le pupitre ne parle pas, dont les tenants de la fausse protestation ne veulent rien savoir, parce qu'à m'entendre le leur accorder, mon pupitre aussitôt deviendrait parlant.
Le discours de l'autre
"En quoi prévaut-il donc sur le pupitre que je suis, leur dirait-il, ce moi que vous traitez dans l'analyse ?"
"Car si sa santé est définie par son adaptation à une réalité tenue tout uniment pour être à sa mesure, et s'il vous faut l'alliance de "la partie saine du moi" pour réduire, dans l'autre partie sans doute, des discordances à la réalité, qui n'apparaissent telles qu'à votre principe de tenir la situation analytique pour simple et anodine, et dont vous n'aurez de cesse que vous ne les fassiez voir du même œil que vous par le sujet, n'est-il pas clair qu'il n'y a pas d'autre discrimination de la partie saine du moi du sujet que son accord avec votre optique qui, pour être supposée saine, devient ici la mesure des choses, de même qu'il n'y a pas d'autre critère de la guérison que l'adoption complète par le sujet de cette mesure qui est la vôtre, ce que confirme l'aveu courant chez des auteurs graves que la fin de l'analyse est obtenue avec l'identification au moi de l'analyste ?
"Assurément la conception qui s'étale aussi tranquillement, non moins que l'accueil qu'elle rencontre, laisse à penser qu'à l'encontre du lieu commun qui veut qu'on en impose aux naïfs, il est encore bien plus facile aux naïfs d'en imposer. Et l'hypocrisie qui se dévoile dans la déclaration dont le repentir apparaît avec une régularité si curieuse en ce discours, qu'il faut parler au sujet "son langage", donne encore plus à méditer quant à la profondeur de cette naïveté. Encore faut-il y surmonter l'écœurement qui se lève à l'évocation qu'elle suggère du parler babyish, sans lequel des parents avisés ne croiraient pas pouvoir induire à leurs hautes raisons les pauvres petits qu'il faut bien faire tenir tranquilles ! Simples égards qu'on tient pour dus à ce que l'imbécillité analytique projette dans la notion de la faiblesse du moi des névrosés.
Mais nous ne sommes pas ici pour rêver entre la nausée et le vertige. Il reste que tout pupitre que je sois à vous parler, je suis le patient idéal puisque avec moi pas tant de peine à se donner, les résultats sont acquis d'emblée, je suis guéri d'avance. Puisqu'il s'agit seulement de substituer à mon discours le vôtre, je suis un moi parfait, puisque je n'en ai jamais eu d'autre et que je m'en remets à vous de m'informer des choses auxquelles mes dispositifs de réglage ne vous permettent pas de m'adapter directement, à savoir de toutes celles qui ne sont pas vos dioptries, votre taille et la dimension de vos papiers.
Voilà, me semble-t-il, qui est fort bien parlé pour un pupitre. Sans doute veux-je rire. Dans ce qu'il a dit à mon gré, il n'avait pas son mot à dire. Pour la raison qu'il était lui-même un mot ; il était moi en tant que sujet grammatical. Tiens, un grade de gagné, et bon à être ramassé par le soldat d'occasion dans le fossé d'une revendication toute éristique, mais aussi à nous fournir une illustration de la devise freudienne qui, à s'exprimer comme : "Là où était ça, le je doit être", confirmerait pour notre profit le caractère faible de la traduction qui substantifie le Ich en passant un t au doit du soll et fixe le cours du Es au taux du cécédilla. Il reste que le pupitre n'est pas un moi, si éloquent ait-il été, mais un moyen dans mon discours.
Mais après tout, à envisager sa vertu dans l'analyse, le moi aussi est un moyen, et nous pouvons les comparer.
Comme le pupitre l'a pertinemment fait remarquer, il présente sur le moi l'avantage de n'être pas un moyen de résistance, et c'est bien pour cela que je l'ai choisi pour supporter mon discours et alléger d'autant ce qu'une plus grande interférence de mon moi dans la parole de Freud eût provoqué en vous de résistance satisfait que je serais déjà, si ce qui doit vous cri rester malgré cet effacement, vous faisait trouver ce que je dis "intéressant". Locution dont ce n'est pas sans motif qu'elle désigne en son euphémisme ce qui ne nous intéresse que modérément, et qui trouve à boucler sa boucle dans son antithèse par quoi sont appelées désintéressées les spéculations d'intérêt universel.
Mais voyons voir un peu que ce que je dis vienne à vous intéresser, comme on dit pour combler l'antonomase par le pléonasme personnellement, le pupitre sera bientôt en morceaux pour nous servir d'arme.
Eh bien ! tout cela se retrouve pour le moi, à ceci près que ses usages apparaissent renversés dans leur rapport à ses états. Moyen de la parole à vous adressée de l'inconscient du sujet, arme pour résister à sa reconnaissance, c'est morcelé qu'il porte la parole, et c'est entier qu'il sert à ne pas l'entendre.
C'est en effet dans la désagrégation de l'unité imaginaire que constitue le moi, que le sujet trouve le matériel signifiant de ses symptômes. Et c'est de la sorte d'intérêt qu'éveille en lui le moi, que viennent les significations qui en détournent son discours.
La passion imaginaire
Cet intérêt du moi est une passion dont la nature était déjà entrevue par la lignée des moralistes où on l'appelait l'amour-propre, mais dont seule l'investigation psychanalytique a su analyser la dynamique dans sa relation à l'image du corps propre.
Cette passion apporte à toute relation avec cette image, constamment représentée par mon semblable, une signification qui m'intéresse tellement, c'est-à-dire qui me fait être dans une telle dépendance de cette image, qu'elle vient à lier au désir de l'autre tous les objets de mes désirs, de plus près qu'au désir qu'ils suscitent en moi.
Il s'agit des objets en tant que nous en attendons l'apparition dans un espace structuré par la vision, c'est-à-dire des objets caractéristiques du monde humain. Quant à la connaissance dont dépend le désir de ces objets, les hommes sont loin de confirmer la locution qui veut qu'ils n'y voient pas plus loin que le bout de leur nez, car leur malheur bien au contraire veut que ce soit au bout de leur nez que commence leur monde, et qu'ils n'y puissent appréhender leur désir que par le même truchement qui leur permet de voir leur nez lui-même, c'est-à-dire en quelque miroir. Mais à peine discerné ce nez, ils en tombent amoureux, et ceci est la première signification par où le narcissisme enveloppe les formes du désir. Ce n'est pas la seule, et la montée croissante de l'agressivité au firmament des préoccupations analytiques resterait obscure à s'y tenir.
C'est un point que je crois avoir moi-même contribué à élucider en concevant la dynamique dite du stade au miroir, comme conséquence d'une prématuration de la naissance, générique chez l'homme, d'où résulte au temps marqué l'identification jubilatoire de l'individu encore infans à la forme totale où s'intègre ce reflet de nez, soit à l'image de son corps : opération qui, pour être faite à vue de nez, c'est le cas de le dire, soit à peu près de l'acabit de cet aha ! qui nous éclaire sur l'intelligence du chimpanzé, émerveillés que nous sommes toujours d'en saisir le miracle sur la face de nos pairs, ne manque pas d'entraîner une déplorable suite.
Comme le remarque fort justement un poète bel esprit, le miroir ferait bien de réfléchir un peu plus avant de nous renvoyer notre image. Car à ce moment le sujet n'a encore rien vu. Mais pour peu que la même capture se reproduise devant le nez d'un de ses semblables, le nez d'un notaire par exemple, Dieu sait où le sujet va être emmené par le bout du nez, vu les endroits où ces officiers ministériels ont l'habitude de fourrer le leur. Aussi bien tout ce que nous avons de reste, mains, pieds, coeur, bouche, voire les yeux répugnant à suivre, une rupture d'attelage vient à menacer, dont l'annonce en angoisse ne saurait qu'entraîner des mesures de rigueur. Rassemblement ! c'est-à-dire appel au pouvoir de cette image dont jubilait la lune de miel du miroir, à cette union sacrée de la droite et de la gauche qui s'y affirme, pour intervertie qu'elle apparaisse si le sujet s'y montre un peu plus regardant.
Mais de cette union, quel plus beau modèle que l'image elle-même de l'autre, c'est-à-dire du notaire en sa fonction ? C'est ainsi que les fonctions de maîtrise, qu'on appelle improprement fonctions de synthèse du moi, instaurent sur le fondement d'une aliénation libidinale le développement qui s'ensuit, et nommément ce que nous avons autrefois appelé le principe paranoïaque de la connaissance humaine, selon quoi ses objets sont soumis à une loi de réduplication imaginaire, évoquant l'homologation d'une série indéfinie de notaires, qui ne doit rien à leur chambre syndicale.
Mais la signification décisive pour nous de l'aliénation constituante de l'Urbild du moi, apparaît dans la relation d'exclusion qui structure dès lors dans le sujet la relation duelle de moi à moi. Car si la coaptation imaginaire de l'un à l'autre devrait faire que les rôles se répartissent de façon complémentaire entre le notaire et le notarié par exemple, l'identification précipitée du moi à l'autre dans le sujet a pour effet que cette répartition ne constitue jamais une harmonie même cinétique, mais s'institue sur le "toi ou moi" permanent d'une guerre où il en va de l'existence de l'un ou l'autre de deux notaires cri chacun des sujets. Situation qui se symbolise dans le "Vous en êtes un autre" de la querelle transitiviste, forme originelle de la communication agressive.
On voit à quoi se réduit le langage du moi : l'illumination intuitive, le commandement récollectif, l'agressivité rétorsive de l'écho verbal. Ajoutons-y ce qui lui revient des déchets automatiques du discours commun : le serinage éducatif et la ritournelle délirante, modes de communication que reproduisent parfaitement des objets à peine plus compliqués que ce pupitre, une construction de feed back pour les premiers, pour les seconds un disque de gramophone, de préférence rayé au bon endroit.
C'est pourtant dans ce registre-là que se profère l'analyse systématique de la défense. Elle se corrobore des semblants de la régression. La relation d'objet en fournit les apparences et ce forçage n'a d'autre issue qu'une des trois qui s'avouent dans la technique en vigueur. Soit le saut impulsif dans le réel à travers le cerceau de papier du fantasme : acting out dans un sens ordinairement de signe contraire à la suggestion. Soit l'hypomanie transitoire par éjection de l'objet lui-même, qui est proprement décrite dans l'ébriété mégalomaniaque que notre ami Michaël Balint, d'une plume si véridique qu'elle nous le rend plus ami encore reconnaît pour l'indice de la terminaison de l'analyse dans les normes actuelles. Soit dans la sorte de somatisation qu'est l'hypocondrie a minima, théorisée pudiquement sous le chef de la relation médecin-malade.
La dimension suggérée par Rickman de la two body psychology est le fantasme dont s'abrite un two ego anaIysis aussi insoutenable qu'elle est cohérente en ses résultats.
L'action analytique
C'est pourquoi nous enseignons qu'il n'y a pas seulement dans la situation analytique deux sujets présents, mais deux sujets pourvus chacun de deux objets qui sont le moi et l'autre, cet autre ayant l'indice d'un petit a initial. Or en raison des singularités d'une mathématique dialectique avec lesquelles il faudra se familiariser, leur réunion dans la paire des sujets S et A ne compte en tout que quatre termes, pour la raison que la relation d'exclusion qui joue entre a et a' réduit les deux couples ainsi notés à un seul dans la confrontation des sujets.
Dans cette partie à quatre, l'analyste agira sur les résistances significatives qui lestent, freinent et dévient la parole, en apportant lui-même dans le quatuor le signe primordial de l'exclusion connotant l'ou bien - ou bien - de la présence ou de l'absence, qui dégage formellement la mort incluse dans la Bildung narcissique. Signe qui manque, notons-le au passage, dans l'appareil algorithmique de la logique moderne qui s'intitule symbolique, et y démontre l'insuffisance dialectique qui la rend encore inapte à la formalisation des sciences humaines.
Ceci veut dire que l'analyste intervient concrètement dans la dialectique de l'analyse en faisant le mort, cri cadavérisant sa position comme disent les Chinois, soit par son silence là où il est l'Autre avec un grand A, soit en annulant sa propre résistance là où il est l'autre avec un petit a. Dans les deux cas et sous les incidences respectives du symbolique et de l'imaginaire, il présentifie la mort.
Encore convient-il qu'il reconnaisse et donc distingue son action dans l'un et l'autre de ces deux registres pour savoir pourquoi il intervient, à quel instant l'occasion s'en offre et comment en agir.
La condition primordiale en est qu'il soit pénétré de la différence radicale de l'Autre auquel sa parole doit s'adresser, et de ce second autre qui est celui qu'il voit et dont et par qui le premier lui parle dans le discours qu'il poursuit devant lui. Car c'est ainsi qu'il saura être celui à qui ce discours s'adresse.
L'apologue de mon pupitre et la pratique courante du discours de la conviction lui montreront assez, s'il y songe, qu'aucun discours, sur quelque inertie qu'il s'appuie ou à quelque passion qu'il fasse appel, ne s'adresse jamais qu'au bon entendeur auquel il porte son salut. Ce qu'on appelle l'argument ad hominem lui-même n'est considéré par celui qui le pratique que comme une séduction destinée à obtenir de l'autre dans son authenticité, l'acceptation d'une parole, parole qui constitue entre les deux sujets un pacte, avoué ou non, mais qui se situe dans un cas comme dans l'autre au-delà des raisons de l'argument.
Pour l'ordinaire chacun sait que les autres tout comme lui resteront inaccessibles aux contraintes de la raison, hors d'une acceptation de principe d'une règle du débat qui ne va pas sans un accord explicite ou implicite sur ce qu'on appelle son fonds, ce qui équivaut presque toujours à un accord anticipé sur son enjeu. Ce qu'on appelle logique ou droit n'est jamais rien de plus qu'un corps de règles qui furent laborieusement ajustées à un moment de l'histoire dûment daté et situé par un cachet d'origine, agora ou forum, église, voire parti. Je n'espérerai donc rien de ces règles hors de la bonne foi de l'Autre, et en désespoir de cause ne m'en servirai, si je le juge bon ou si on m'y oblige, que pour amuser la mauvaise foi.
Le lieu de la parole
L'Autre est donc le lieu où se constitue le je qui parle avec celui qui entend, ce que l'un dit étant déjà la réponse et l'autre décidant à l'entendre si l'un a ou non parlé.
Mais en retour ce lieu s'étend aussi loin dans le sujet qu'y règnent les lois de la parole, c'est-à-dire bien au-delà du discours qui prend du moi ses mots d'ordre, depuis que Freud a découvert son champ inconscient et les lois qui le structurent.
Ce n'est pas en raison d'un mystère qui serait celui de l'indestructibilité de certains désirs infantiles que ces lois de l'inconscient déterminent les symptômes analysables. Le modelage imaginaire du sujet par ses désirs plus ou moins fixés ou régressés dans leur relation à l'objet est insuffisant et partiel à en donner la clé.
L'insistance répétitive de ces désirs dans le transfert et leur remémoration permanente dans un signifiant dont le refoulement s'est emparé, c'est-à-dire où le refoulé fait retour, trouvent leur raison nécessaire et suffisante, si l'on admet que le désir de la reconnaissance domine dans ces déterminations le désir qui est à reconnaître, en le conservant comme tel jusqu'à ce qu'il soit reconnu.
Les lois de la remémoration et de la reconnaissance symbolique, en effet, sont différentes dans leur essence et dans leur manifestation des lois de la réminiscence imaginaire, c'est-à-dire de l'écho du sentiment ou de l'empreinte (Prägung) instinctuelle, même si les éléments qu'ordonnent les premières comme signifiants sont empruntés au matériel auquel les secondes donnent signification.
Il suffit pour toucher la nature de la mémoire symbolique d'avoir une fois étudié, comme je l'ai fait faire en mon séminaire, la suite symbolique la plus simple, celle d'une série linéaire de signes connotant l'alternative de la présence ou de l'absence, chacun étant choisi au hasard sous quelque mode pur ou impur qu'on procède. Qu'à cette suite on apporte alors l'élaboration la plus simple, celle d'y noter les séquences ternaires cri une nouvelle série, et l'on verra apparaître des lois syntaxiques qui imposent à chaque terme de celle-ci certaines exclusions de possibilité jusqu'à ce que soient levées les compensations qu'exigent ses antécédents.
C'est au coeur de cette détermination de la loi symbolique que Freud s'est porté d'emblée par sa découverte, car dans cet inconscient dont il nous dit avec insistance qu'il n'a rien a faire avec tout ce qui a été désigné sous ce nom jusqu'alors, il a reconnu l'instance des lois où se fondent l'alliance et la parenté, en y installant dès la Traumdeutung le complexe d'Oedipe comme sa motivation centrale. Et c'est ce qui me permet maintenant de vous dire pourquoi les motifs de l'inconscient se limitent, - point sur quoi Freud s'est déclaré dès l'abord et n'a jamais fléchi -, au désir sexuel. C'est essentiellement en effet sur la liaison sexuelle, et en l'ordonnant à la loi des alliances préférentielles et des relations interdites, que la première combinatoire des échanges de femmes entre les lignées nominales prend son appui, pour développer en un échange de biens gratuits et en un échange de maîtres-mots le commerce fondamental et le discours concret qui supportent les sociétés humaines.
Le champ concret de la conservation individuelle, par contre, par ses attaches à la division non pas du travail, mais du désir et du travail, déjà manifesté depuis la première transformation introduisant dans l'aliment sa signification humaine jusqu'aux formes les plus élaborées de la production des biens qui se consomment, montre assez qu'il se structure dans cette dialectique du maître et de l'esclave où nous pouvons reconnaître l'émergence symbolique de la lutte à mort imaginaire où nous avons tout à l'heure défini la structure essentielle du moi : il n'y a pas dès lors à s'étonner que ce champ se reflète exclusivement dans cette structure. Autrement dit ceci explique que l'autre grand désir générique, celui de la faim, ne soit pas représenté, comme Freud l'a toujours soutenu, dans ce que l'inconscient conserve pour le faire reconnaître.
Ainsi s'éclaire toujours plus l'intention de Freud, si lisible à qui ne se contente pas d'ânonner son texte, au moment où il promut la topique du moi, et qui fut de restaurer dans sa rigueur la séparation, jusque dans leur interférence inconsciente, du champ du moi et de celui de l'inconscient premièrement découvert par lui, en montrant la position "en travers" du premier par rapport au second, à la reconnaissance duquel il résiste par l'incidence de ses propres significations dans la parole.
C'est bien là que gît le contraste entre les significations de la culpabilité dont la découverte dans l'action du sujet a dominé la phase première de l'histoire de l'analyse, et les significations de frustration affective, de carence instinctuelle et de dépendance imaginaire du sujet qui dominent sa phase actuelle.
Que la prévalence des secondes telle qu'elle se consolide à présent dans l'oubli des premières, nous promette une propédeutique d'infantilisation générale, c'est peu de le dire, quand la psychanalyse laisse déjà s'autoriser de son principe des pratiques de mystification sociale à grande échelle.
La dette symbolique
Notre action ira-t-elle donc à refouler la vérité même qu'elle emporte en son exercice ? Fera-t-elle rentrer en sommeil celle-ci que Freud dans la passion de l'homme aux rats maintiendrait offerte à jamais à notre reconnaissance, si même nous devions de plus en plus en détourner notre vigilance : à savoir que c'est des forfaitures et des vains serments, des manques de parole et des mots en l'air dont la constellation a présidé à la mise au monde d'un homme, qu'est pétri l'invité de pierre qui vient troubler, dans les symptômes, le banquet de ses désirs ?
Car le raisin vert de la parole par quoi l'enfant reçoit trop tôt d'un père l'authentification du néant de l'existence, et la grappe de la colère qui répond aux mots de fausse espérance dont sa mère l'a leurré en le nourrissant au lait de son vrai désespoir, agacent plus ses dents que d'avoir été sevré d'une jouissance imaginaire ou même d'avoir été privé de tels soins réels.
Tirerons-nous notre épingle du jeu symbolique par où la faute réelle paye le prix de la tentation imaginaire ? Détournerons-nous notre étude de ce qu'il advient de la loi quand d'avoir été intolérable à une fidélité du sujet, elle fut par lui méconnue déjà quand ignorée encore, et de l'impératif si, de s'être présenté à lui dans l'imposture, il est en son for récusé avant que d'être discerné : c'est-à-dire des ressorts qui, dans la maille rompue de la chaîne symbolique, font monter de l'imaginaire cette figure obscène et féroce où il faut voir la signification véritable du surmoi ?
Qu'il soit entendu ici que notre critique de l'analyse qui se prétend analyse de la résistance et se réduit de plus en plus à la mobilisation des défenses, ne porte que sur le fait qu'elle est aussi désorientée dans sa pratique que dans ses principes, pour la rappeler à l'ordre de ses fins légitimes.
Les manœuvres de complicité duelle où elle s'efforce pour des effets de bonheur et de succès ne sauraient prendre de valeur à nos yeux que d'amoindrir la résistance des effets de prestige où le moi s'affirme, à la parole qui s'avoue à tel moment de l'analyse qui est le moment analytique.
Nous croyons que c'est dans l'aveu de cette parole dont le transfert est l'actualisation énigmatique, que l'analyse doit retrouver son centre avec sa gravité, et qu'on n'aille pas imaginer à nos propos de tout à l'heure que nous concevions cette parole sous quelque mode mystique évocateur du karma. Car ce qui frappe dans le drame pathétique de la névrose, ce sont les aspects absurdes d'une symbolisation déconcertée, dont le quiproquo à mesure qu'on le pénètre plus avant, apparaît plus dérisoire.
Adaequatio rei et intellectus : l'énigme homonymique que nous pouvons faire jaillir du génitif rei, qui sans même changer d'accent peut être celui du mot reus, lequel veut dire partie en cause en un procès, particulièrement l'accusé, et métaphoriquement celui qui est en dette de quelque chose, nous surprend à donner à la fin sa formule à l'adéquation singulière dont nous posions la question pour notre intellect et qui trouve sa réponse dans la dette symbolique dont le sujet est responsable comme sujet de la parole.
La formation des analystes à venir
Aussi est-ce aux structures du langage si manifestement reconnaissables aux mécanismes primordialement découverts de l'inconscient, que nous reviendrons à reprendre notre analyse des modes sous lesquels la parole sait recouvrer la dette qu'elle engendre.
Que l'histoire de la langue et des institutions et les résonances, attestées ou non dans la mémoire, de la littérature et des significations impliquées dans les œuvres de l'art, soient nécessaires à l'intelligence du texte de notre expérience, c'est un fait dont Freud, pour y avoir pris lui-même son inspiration, ses procédés de pensée et ses armes techniques, témoigne si massivement qu'on peut le toucher rien qu'à feuilleter les pages de son oeuvre. Mais il n'a pas cru superflu d'en poser la condition à toute institution d'un enseignement de la psychanalyse.
Que cette condition ait été négligée, et jusque dans la sélection des analystes, ceci ne saurait être étranger aux résultats que nous voyons, et nous indique que c'est à articuler techniquement ses exigences que nous pourrons seulement y satisfaire. C'est d'une initiation aux méthodes du linguiste, de l'historien et je dirai du mathématicien, qu'il doit être maintenant question pour qu'une nouvelle génération de praticiens et de chercheurs recouvre le sens de l'expérience freudienne et son moteur. Elle y trouvera aussi à se préserver de l'objectivation psycho-sociologique, où le psychanalyste en ses incertitudes va chercher la substance de ce qu'il fait, alors qu'elle ne peut lui apporter qu'une abstraction inadéquate où sa pratique s'enlise et se dissout.
Cette réforme sera une oeuvre institutionnelle, car elle ne peut se soutenir que d'une communication constante avec des disciplines. qui se définiraient comme sciences de l'intersubjectivité, ou encore par le terme de sciences conjecturales, terme où j'indique l'ordre des recherches qui sont en train de faire virer l'implication des sciences humaines.
Mais une telle direction ne se maintiendra que d'un enseignement véritable, c'est-à-dire qui ne cesse de se soumettre à ce qu'on appelle novation. Car le pacte instituant l'expérience doit tenir compte du fait qu'elle instaure les effets mêmes qui la capturent pour l'écarter du sujet.
Ainsi, de dénoncer la pensée magique, on ne voit pas que c'est pensée magique, et en vérité l'alibi des pensées de pouvoir, toujours prêtes à produire leur rejet dans une action qui ne se soutient que de son joint à la vérité.
C'est à ce joint de vérité que Freud se rapporte en déclarant impossibles à tenir trois gageures éduquer, gouverner, psychanalyser. Pourquoi en effet le seraient-elles ? sinon que le sujet ne peut qu'y être manqué, d'y filer dans la marge que Freud réserve à la vérité.
Car la vérité s'y avère complexe par essence, humble en ses offices et étrangère à la réalité, insoumise au choix du sexe, parente de la mort et, à tout prendre plutôt inhumaine, Diane peut-être... Actéon trop coupable à courre la déesse, proie où se prend, veneur, l'ombre que tu deviens, laisse la meute aller sans que ton pas se presse, Diane à ce qu'ils vaudront reconnaîtra les chiens...