Aujourd'hui,
après avoir réalisé
un maximum de travail et gagné ce dont j'ai besoin pour mon
bien-être
(10 heures-100 florins), je suis mort de fatigue mais
intellectuellement
dispos et je vais essayer de t'exposer brièvement les derniers
détails
de mes spéculations.
Tu sais que, dans mes travaux, je
pars de l'hypothèse que notre mécanisme psychique s'est
établi
par un processus de stratification : les matériaux
présents
sous forme de traces mnémoniques se trouvent de temps en temps remaniés
suivant
les circonstances nouvelles.1.
Ce qu'il y a d'essentiellement neuf dans ma théorie, c'est l'idée que la mémoire est présente non pas une seule mais plusieurs fois et qu'elle se compose de diverses sortes de "signes". (Dans mon étude sur l'aphasie, j'ai jadis soutenu l'idée d'un semblable aménagement des voies venant de la périphérie)2.. J'ignore le nombre de ces enregistrements. Ils sont au moins trois et probablement davantage. Le schéma ci-dessous illustre cette façon de voir (fig.7) 3.. Il montre que les diverses inscriptions sont aussi séparées (pas nécessairement du point de vue topographique) par rapport aux neurones qui les transportent. Cette hypothèse n'a peut-être pas une importance capitale, mais elle est la plus simple et l'on peut pour le moment la retenir.
Percp.
- Ce sont
les neurones où apparaissent les perceptions et auxquels
s'attache
le conscient, mais qui ne conservent en eux-mêmes aucune trace de
ce qui est arrivé, car le conscient et la mémoire
s'excluent
mutuellement [V. l'Esquisse, p. 322].
Percp. S. constitue le premier
enregistrement
des perceptions, tout à fait incapable de devenir conscient et
aménagé
suivant les associations simultanées.
Incs. (l'inconscient) est un second
enregistrement
ou une seconde transcription, aménagé suivant les autres
associations - peut-être suivant des rapports de
causalité.
Les traces de l'inconscient correspondraient peut-être à
des
souvenirs conceptionnels et seraient aussi inaccessibles au conscient.
Précs. (le préconscient
est
la troisième transcription liée aux
représentations
verbales et correspondant à notre moi officiel. Les
investissements
découlant de ce Précs. deviennent conscients
d'après
certaines lois. Cette conscience cogitative secondaire, qui
apparaît
plus tardivement, est probablement liée à la
réactivation
hallucinatoire de représentations verbales ; ainsi les neurones
de l'état conscient seraient là encore des neurones de
perception
et en eux-mêmes étrangers à la mémoire.
Si je parvenais à donner un exposé
complet
des caractères psychologiques de la perception et des trois
enregistrements,
j'aurais formulé une nouvelle psychologie. Je dispose pour ce
faire
d'une partie des matériaux, mais sans avoir, pour le moment,
l'intention
de m'en servir dans ce but.
Je tiens à faire remarquer que les
enregistrements
successifs représentent la production psychique d'époques
successives de la vie 4..
C'est à la limite de deux époques que doit s'effectuer la
traduction des matériaux psychiques. Je m'explique les
particularités
des psychonévroses en supposant que la traduction de certains
matériaux
ne s'est pas réalisée - ce qui doit entraîner
certaines
conséquences nous soutenons, en effet, qu'il existe une tendance
à l'égalisation quantitative. Tout nouvel enregistrement
gêne l'enregistrement précédent et fait
dériver
sur lui-même le processus d'excitation. Si aucun enregistrement
nouveau
ne se produit, l'excitation s'écoule suivant les lois
psychologiques
gouvernant l'époque psychique précédente et par
les
voies alors accessibles. Nous nous trouvons ainsi en présence
d'un
anachronisme : dans une certaine province des fueros5.
existent encore, des traces du passé ont survécu. C'est
le
défaut de traduction que nous appelons, en clinique refoulement.
Le motif en est toujours la production de déplaisir qui
résulterait
d'une traduction ; tout se passe comme si ce déplaisir
perturbait
la pensée en entravant le processus de la traduction.
Pendant une même phase psychique et en
même
temps que se réalisent les enregistrements d'une seule et
même
sorte, nous voyons quelquefois se dresser une défense normale
contre
le déplaisir produit. La défense pathologique n'est
dirigée
que contre les traces mnémoniques non encore traduites et
appartenant
à une phase antérieure.
La réussite du refoulement ne dépend
pas
de l'intensité du déplaisir 6..
C'est justement contre les souvenirs les plus
désagréables
que nous luttons souvent en vain. Voici comment ce fait peut
s'expliquer
lorsqu'un incident A a provoqué en se produisant un certain
déplaisir
la trace mnémonique A1 ou A2 qu'il laisse est capable d'entraver
la décharge de déplaisir lors de la réapparition
du
souvenir. Plus le retour du souvenir est fréquent, plus la
décharge
est empêchée. Mais il existe un cas, un seul cas,
où
l'inhibition ne suffit plus : c'est quand A, au moment de sa
production,
a provoqué un certain déplaisir et qu'il suscite, en
resurgissant,
un nouveau déplaisir, l'inhibition n'est alors plus possible. Le
souvenir agit alors comme un événement actuel. Ce fait ne
se réalise que lorsque les incidents ont été
d'ordre
sexuel parce qu'en ce cas l'excitation qu'ils provoquent devient
toujours
plus intense avec le temps (au cours du développement sexuel).
Ainsi un incident sexuel survenu au cours d'une
certaine
phase agit pendant la phase suivante comme s'il était actuel,
donc
irrépressible. La condition déterminante d'une
défense
pathologique (c'est-à-dire du refoulement), est donc le
caractère
sexuel de l'incident et sa survenue au cours d'une phase
antérieure.
Les incidents sexuels n'engendrent pas
forcément
tous du déplaisir, la plupart sont agréables. Il s'ensuit
que leur reproduction est en général accompagnée
d'un
plaisir non inhibé. Un plaisir de ce genre constitue une
compulsion.
Nous sommes ainsi amenés aux conclusions suivantes : quand un
souvenir
sexuel réapparaît au cours d'une autre phase et qu'il
engendre
du plaisir, il en résulte une compulsion, mais s'il produit du
déplaisir,
il y a refoulement. Dans les deux cas, la traduction en signes de la
nouvelle
phase semble être gênée (?)7..
L'observation clinique nous fait connaître
trois
groupes de psychonévroses sexuelles : l'hystérie, la
névrose
obsessionnelle et la paranoïa et nous enseigne que les souvenirs
refoulés
se rapportent, dans le cas de l'hystérie, aux
événements
survenus entre 1 an 1/2 et 4 ans8.,
dans le cas de la névrose obsessionnelle entre 4 et 8 ans et,
pour
la paranoïa, entre 8 et 14 ans. Toutefois, au-dessous de 4 ans,
aucun
refoulement ne se produit et ainsi les périodes
d'évolution
psychique et les phases sexuelles ne coïncident pas (fig. 8)9..
La perversion
est une autre conséquence
d'un incident sexuel trop précoce. II faut, semble-t-il, pour
qu'elle
apparaisse que la défense ne se produise pas avant
l'achèvement
de l'appareil psychique ou qu'elle fasse tout à fait
défaut10..
(Voir la fig.9.)
Telle est la superstructure.
Tentons
maintenant de l'établir sur des fondements organiques. Il s'agit
d'expliquer pourquoi des incidents sexuels, générateurs
de
plaisir au moment de leur production, provoquent chez certains sujets,
lors de leur réapparition ultérieure sous forme de
souvenirs,
du déplaisir alors que, chez d'autres, ils donnent naissance
à
des compulsions. Dans le premier cas, ils doivent évidemment
susciter
un déplaisir qui ne s'était pas produit au début.
Il faut aussi déterminer les époques psychologiques et sexuelles. Tu m'as appris que ces dernières étaient des multiples supérieurs de la période féminine de vingt-huit jours...11.
Pour expliquer
le choix entre perversion
et névrose, je me base sur la bisexualité de tous les
humains.
Chez un sujet purement viril, il se produirait aux deux limites
sexuelles,
un excès de décharge mâle, donc du plaisir et en
même
temps une perversion. Chez un être purement féminin, il y
aura un excédent de substance génératrice de
déplaisir
à ces deux époques. Durant les premières phase les
productions resteraient parallèles, c'est-à-dire qu'elles
fourniraient un excédent normal de plaisir. C'est ce qui
explique
la plus grande susceptibilité des vraies femmes aux
névroses
de défense.
C'est de cette manière que
se confirmerait d'après ta théorie la nature
intellectuelle
des hommes.
Enfin, je ne puis écarter
l'hypothèse
que m'avait fait pressentir l'observation clinique et suivant laquelle
la distinction à établir entre neurasthénie et
névrose
d'angoisse serait liée à l'existence de période de
vingt-trois et vingt-huit jours12..
En plus des deux périodes
dont
je soupçonne la présence, il pourrait bien y en avoir
plusieurs
autres de chaque espèce.
L'hystérie me semble
toujours
davantage résulter de la perversion du séducteur ;
l'hérédité
s'ensuit d'une séduction par le père. Il s'établit
ainsi un échange entre générations :
Première
génération
: perversion ;
Deuxième
génération
: hystérie et, en conséquence, stérilité.
Il
arrive parfois que le sujet subisse une métamorphose. Pervers
à
la maturité, il devient hystérique après une
période
d'angoisse.
Il s'agit, en fait, dans
l'hystérie,
plutôt du rejet d'une perversion que d'un refus de la sexualité.
A l'arrière-plan se trouve
l'idée de zones érogènes abandonnées.
Au cours de l'enfance, en effet, la réaction sexuelle s'obtient,
semble-t-il, sur de très nombreuses parties du corps ; mais plus
tard ces dernières ne peuvent plus produire que l'angoisse du
28è
jour et rien d'autre. C'est à cette différenciation,
à
cette limitation, que seraient dus les progrès de la
civilisation
et le développement d'une morale tant sociale qu'individuelle.
L'accès hystérique
ne
constitue pas une décharge mais une action qui conserve
le
caractère inhérent à toute action : être un
moyen de se procurer du plaisir (tel en est tout au moins le
caractère
originel elle se justifie devant le préconscient par toutes
sortes
de raisons).
Ainsi les patients chez qui la
sexualité
a joué quelque rôle au cours du sommeil souffrent
d'accès
de somnolence. Ils se rendorment pour renouveler cette
expérience
et provoquent souvent ainsi des évanouissements
hystériques.
Les accès de vertige, de
sanglots,
tout est mis au compte d'une autre personne, mais surtout au
compte
de cet autre personnage préhistorique, inoubliable, que nul
n'arrive
plus tard à égaler. D'ailleurs même le
symptôme
chronique des sujets qui veulent rester couchés s'explique de la
même façon. Un de mes malades ne cesse de geindre dans son
sommeil, comme il faisait jadis quand il voulait que sa mère,
morte
quand il avait 22 mois, le prenne dans son lit. Jamais un accès
ne semble être la manifestation intensifiée d'une
émotion13..
... Je suis en
pleine fièvre
de travail durant dix à onze heures chaque jour et me sens,
grâce
à cela, en bon état, mais presque aphone. S'agit-il d'une
fatigue excessive des cordes vocales ou d'une névrose d'angoisse
? Inutile de chercher une réponse. Il vaut mieux, comme le
conseille
Candide, travailler sans raisonner14....
Je viens d'orner mon bureau de
moulages
de statues florentines15..
Ce fut pour moi un énorme délassement. Je forme le
dessein
de devenir riche pour refaire ce voyage et rêve à un
congrès
en terre italienne ! (Naples, Pompéi).
Mes affectueuses pensées à vous tous,
Ton Sigm.