Sommaire de l'annéeLes non dupes errent
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séminaire oral du 12 mars 1974
En rapport avec les documents sonores disponibles en archives au groupe Lutecium, le texte proposé sur cette page est une transcription écrite intégrale de la séance, relue à l'aide de la bande son.
Transcription de la version sonore originale
Le docteur Lacan ordonne quatre croquis au tableau.
Les deux premières
figures, là, je me les suis tapées sans avoir besoin de plus
de repères, vous allez voir que la troisième, tout à
fait sur la droite, il a fallu que je me batte avec un petit papier à
la main.
Est-ce que ça s'entend ou
pas ce que je raconte ?
Il est là encore le... ça
ne marche pas ?
[- Si, ça marche !]
Bon. Alors j’entre
dans le vif du sujet, quoique j'aie bien sûr envie plutôt de
parler d'autre chose. Dire par exemple que, que j'ai pas à me plaindre,
enfin que, que... que je donne enfin, du même coup que je vous donne,
je m'en excuse, je vous donne à manger du foin, c'est du foin, tout
ça. C'est des trucs qui s'entrecroisent et qui ne passent pas, enfin.
De sorte que
je n'aie pas à me plaindre en ce sens que, de deux choses l'une
: ou on me rend mon foin tout de suite, c'est ce qui arrive, comme ça,
mon foin tel quel, enfin, c'est pas du tout quelque chose qu'on ne supporte
pas, on me le ressert tel que, tel que je l'ai proposé - c'est ce
qui arrive à certains - et alors il y a des personnes par exemple,
que ce foin chatouille tellement à l'entrée de la gorge qu'elles
me vomissent du Claudel, par exemple.
C'est parce
qu'elles l'avaient déjà là, enfin ! Je suis embêté,
je suis embêté parce que la personne à qui j'ai fait
vomir du Claudel a téléphoné, à Gloria naturellement,
au moment... pour lui demander où se tenait mon séminaire.
Je suis absolument désolé, enfin, j'espère qu'elle
a fini par le savoir, elle est peut-être là. En tout cas si
elle n'est pas là, qu'on lui porte mes excuses, parce que Gloria
l'a envoyée aux pelotes, et c'est pas du tout ce que... ce que j'aurais
désiré, pourquoi est-ce qu'elle ne serait pas venue manger
du foin avec tout le monde... Bon, bon, eh bien mon foin en question, enfin,
c'est ce que vous savez qui est à l'ordre du jour, n'est-ce pas,
par mon fait c'est le noeud borroméen.
Je peux dire
que je suis gâté, parce que, on vient de m'en apporter, un,
africain. C'est le noeud borroméen en personne, n'est-ce pas. Il
est... je vous en certifie l'authenticité, parce que depuis le temps
que je le manie, je commence à en connaître un bout... et
ça me plaît beaucoup parce que s'il y a une chose autour de
quoi je me casse la tête, j'ai même interrogé là-dessus,
enfin c'est... c'est de savoir d'où ça vient. On l'appelle
borroméen, c'est pas du tout qu'il y a un type qui un jour l'ait
découvert, c'est bien entendu découvert depuis longtemps
et ce qui m'étonne, c'est que, c'est qu'on ne s'en soit pas plus
servi, enfin, parce que c'était vraiment, c'était vraiment
une façon de prendre ce que j'appelle les trois dimensions.
On les a prises
autrement, il doit y avoir des raisons pour ça. Il doit y avoir
des raisons pour ça, parce qu'on ne voit pas du tout pourquoi -
enfin on ne voit pas au premier abord - on ne voit pas pourquoi on n'aurait
pas essayé de serrer, de serrer le point, de faire le point, si
vous voulez, avec ça, plutôt qu'avec des choses qui se coupent.
C'est un fait que ça ne s'est pas passé comme ça.
Quel sort ça aurait eu si ça s'était passé
comme ça ? Il est probable que, il est probable que ça nous
aurait dressés tout différemment.
C'est pas du
tout que ceux qu'on appelle les philosophes, c'est-à-dire, mon Dieu,
ceux, ceux qui essayent de dire quelque chose à notre... à
nos états, enfin, d'y répondre, c'est pas du tout c'est qu'on
n'ait pas trace que ces histoires de noeuds justement ça ne les
ait pas intéressés, parce que, il y a vraiment, il y a vraiment
très longtemps que des personnes qui se trouvent curieusement avoir
autant qu'on le sache, s'être classées depuis longtemps autant
qu'on le sache, parmi les femmes, enfin ce que j'appelle les femmes, -
et c'est au pluriel comme vous le savez, enfin il y en a quelques-uns qui
sont là depuis longtemps -, les, les femmes, elles s'y entendent,
à ça, à faire des trames, des tissus.
Et ça,
ça aurait pu mettre sur la voie, c'est très curieux que,
bien au contraire, ça ait inspiré plutôt intimidation.
Aristote, enfin, en parle et c'est très curieux qu'il ne l'ait pas
pris pour objet. Parce que ça aurait été un départ
qui n'aurait pas été plus mauvais qu'un autre. Qu'est-ce
qu'il y a, qu'est-ce qu'il y a qui fait que, les noeuds, les noeuds, ça
s'imagine mal ?
Ça, comme
ça, parce que c'est fait d'une certaine façon, ça
se... ça se soutient 0.(Le
docteur Lacan parle ici du noeud africain qu'il tient en main), mais
c'est une fois que c'est mis à plat que c'est pas commode à
manier, et c'est probablement pas pour rien, enfin que, avec ces noeuds
c'est toujours des choses qui font tissu, c'est-à-dire qui font
surface, qu'on a essayé de fabriquer. C'est probablement que la
chose mise à plat, la surface, c'est très lié, enfin,
à toutes sortes d'utilisation. Oui. Que les noeuds s'imaginent mal,
je vais tout de suite vous en donner une preuve.
Bon. Vous faites
une tresse, une tresse à deux, vous n'avez pas besoin d'en faire
beaucoup, il suffit que vous entrecroisiez une fois, puis une seconde,
au bout de deux, vous retrouvez vos deux dans l'ordre. Nouez-les maintenant
bout à bout, à savoir le même avec le même. Eh
bien, c'est noué. C'est même noué, on peut dire, deux
fois. Ça fait double boucle. Ca tient ensemble les... ce que vous
avez rejoint, c'est-à-dire, comme l'a un jour mis en titre de mon
dernier séminaire de l'année dernière mon fidèle
Achate, il a appelé ça "les ronds de ficelle". Je ne sais
pas si dans le texte j'avais appelé ça comme ça ou
autrement, c'est probable que je l'avais appelé comme ça,
mais il l'a mis en titre. Bon.
Bien. Faites
maintenant une tresse à trois. Avant que vous retrouviez dans une
tresse à trois, les trois brins - appelons ça des brins,
aujourd'hui, par exemple - les trois brins dans l'ordre, il faut que vous
fassiez six fois le geste d'entrecroiser ces brins, moyennant quoi, après
que vous ayez fait six fois ce geste, vous retrouvez les trois brins dans
l'ordre. Et là, de nouveau, vous les joignez. Eh bien, c'est quand
même quelque chose qui ne va pas de soi, qui ne s'imagine pas tout
de suite : c'est que, si une fois ce noeud que je vous ai dit tout simplement
être un noeud borroméen, à savoir tel qu'il est sous
sa forme la plus simple, celui qui est là à gauche, ça
ne va pas de soi qu'ayant tressé comme dans le premier cas, voyez
à la fin du compte que ça tient d'un double noeud, ça
ne va pas de soi qu'il suffise que vous rompiez un de ces brins pour que
les deux autres soient libres. Parce qu'au premier regard, ils ont l'air
très bien tortillés l'un autour de l'autre et on pourrait
présumer qu'ils tiennent tout aussi bien que dans la tresse à
deux. Eh bien pas du tout : vous voyez tout de suite qu'ils se séparent.
Il suffit qu'on coupe un des trois pour que les deux autres s'avèrent
n'être pas noués.
Et ceci reste
vrai quel que soit le multiple de six dont vous poursuiviez la tresse.
Il est bien certain en effet que, puisque vous avez retrouvé vos
trois brins dans l'ordre au bout de six gestes de tressage, vous allez
également les retrouver dans l'ordre quand vous en ferez six de
plus. Ça vous donnera, si vous en faites six de plus, ce noeud
borroméen-là (croquis
3).
C'est-à-dire que ce que
vous voyez ici passer une fois, à l'intérieur des deux autres
noeuds, dont vous pouvez voir qu'ils sont - c'est pour ça que je
les ai présentés comme ça - libres l'un de l'autre,
vous faites ça, en réalité ici, vous voyez, deux fois.
Et c'est toujours un noeud dit borroméen, en ceci que quel que soit
celui que vous rompiez, les deux autres seront libres. Avec un tout petit
peu d'imagination, vous pouvez voir pourquoi, c'est parce que, prenons
ces deux-ci par exemple : (le rouge
et le vert sur ce croquis)
Ils sont tels
que, disons pour dire des choses simples, qu'ils ne se coupent pas, qu'ils
sont l'un au-dessus de l'autre. Vous pouvez vous apercevoir que c'est vrai
pour chaque couple de deux. Bon. Voilà deux façons de faire
le noeud borroméen, mais qui ne sont en réalité qu'une
seule, c'est à savoir de les tresser un nombre indéfini de
fois multiple de six, ça sera toujours un aussi authentique noeud
borroméen.
Je m'excuse
pour ceux que ça peut fatiguer, ça a tout de même une
fin, ce que je vous raconte là. Je voudrais seulement vous faire
remarquer ceci : c'est que le compte n'est pas fait pour autant. Vous pouvez
tresser aussi longtemps que vous voudrez, pourvu que vous vous en teniez
à un multiple de six, aussi longtemps que vous voudrez, la tresse
en question, ce sera toujours un noeud borroméen. Déjà
à soi tout seul, ça semble ouvrir la porte à une infinité
de noeuds borroméens.
Eh bien, cette infinité déjà réalisée virtuellement puisque vous pouvez la concevoir, cette infinité, ne se limite pas là. Tel l'exemple que je vous en donne au tableau sous la forme de cette façon, on ne peut pas dire que les instruments soient commodes, bon... ! sous la forme de cette façon de l'inscrire, c'est à savoir que vous voyez, la
boucle, si je puis dire, est double,
et que (croquis
2) le noeud borroméen s'il se réalise d'une façon
que j'avais d'abord tracée d'une façon telle qu'on voie bien,
en tirant d'ici que ça fait deux.
Vous pourriez
aussi bien le dessiner en faisant ici revenir la boucle dont vous voyez
qu'elle passe sous un des niveaux de mes ronds de ficelle et de revenir
toutes les deux, elle ferait le tour, alors, d'un de ces ronds, et reviendrait
ici s'inscrire en croisant par en-dessous les deux boucles qui se trouvent
ici à cause de l'arrangement être parallèles et donner
une forme en somme en croix. Si vous arrangez le noeud borroméen
de cette façon - j'espère que j'ai été... j'ai
fait imaginer ce que pourrait être ce dessin, si vous voulez que
je le trace, je vous le tracerai - il devient entièrement symétrique
et il a l'intérêt de nous représentifier sous une autre
forme la matérialisation qu'il peut donner sous cette forme à
la symétrie, précisément - la symétrie, en
deux mots n'est-ce pas, la / symétrie d'un autre côté
- c'est-à-dire de nous montrer qu'il y a une façon de présenter
le noeud borroméen qui, dans son tracé même, nous impose
le surgissement de la symétrie, à savoir du deux.
Il n'y avait
pas besoin d'aller si loin pour nous en apercevoir. C'est à savoir
que, à simplement je dirai tirer sur cette partie du rond de ficelle,
vous pouvez - ça, facilement - vous imaginer le résultat
que ça va avoir, à savoir ce
rond de droite (croquis
n°1) de le plier en deux.
A savoir, d'obtenir ce résultat
qui se présente comme tel :
Moyennant quoi, vous voyez que ce qui en résulte, c'est ceci : à savoir qu'un des ronds tire le noeud plié en deux, la boucle pliée en deux dans ce sens ----- > tandis que l'autre se présente ainsi, que vous avez là, manifeste, peut-être d'ailleurs moins saillant à vos yeux, le quelque chose qui fait que, à trois, ces noeuds, vous ne pouvez pas les dénouer, mais qu'il suffit qu'un, un quelconque d'entre eux manque pour que les deux autres soient libres.
C'est même
une des façons les plus claires d'imager ceci que vous pouvez, si
vous faites passer votre rond à l'intérieur du noeud que
j'appelle... la boucle que j'appelle "boucle pliée", si vous faites
passer une autre boucle pliée de la même façon, vous
pourrez nouer un nombre indéfini de ces ronds de ficelle et qu'il
suffira qu'un soit rompu, qu'un fasse défaut, qu'un manque, pour
que tous les autres se libèrent. Moyennant quoi, moyennant quoi,
ce qui ne peut que vous venir à l'esprit, c'est que, puisque ce
que vous avez ajouté un nombre indéfini de fois, ce sont
des noeuds pliés pris les uns dans les autres, vous n'êtes
pas forcés de terminer par ce que vous voyez ici fonctionner, à
savoir un simple rond de ficelle.
Vous1.
pouvez ... [inaudible ? ] la nodalité nous donne ce quelque chose
qui à le dire d'avant l'ordre ne suppose nullement un premier, un
deuxième, un troisième et comme je viens de vous le souligner
même pas un moyen avec deux extrêmes, car [passage inaudible
? même dans la première forme du noeud borroméen]...
celle que je vous ai très précisément ce résultat
Vous2. pouvez boucler le cercle complet d'une façon qui fasse... se fermer la chose par un cercle plié. A savoir que, si vous en aviez plus de trois, il vous serait tout à fait facile d'imaginer que pour clore, c'est avec un de ces cercles pliés que vous feriez la clôture. Si vous faites la clôture avec trois, ce que vous obtenez, c'est justement très précisément ce résultat
à savoir qu'à partir de là vous pouvez réaliser cette boucle, c'est-à-dire que du maniement à trois du noeud borroméen - dont vous voyez qu'il peut fonctionner sur un beaucoup plus grand nombre - du maniement à trois vous faites surgir cette figure dont je vous ai dit qu'elle présentifiait la symétrie dans le noeud borroméen-même. C'est-à-dire qu'elle y inscrit le deux.
Ce qu'il faut souligner, avant de clore cette démonstration, disons figurée, ce qu'il convient de souligner, c'est ceci. C'est que à chacun de ces trois ronds de ficelle - pour les appeler ainsi de la façon qui image le mieux - à chacun de ces ronds de ficelle vous pouvez donner par une manipulation suffisamment régulière, vous ne pourrez pas vous étonner de la patience qu'il vous faudra, à chacun des trois, à savoir aussi bien à ce rond de ficelle-là qu'à ce rond de ficelle-là aussi, vous pouvez donner exactement la même place qui est celle que vous voyez ici figurée du troisième.
A quoi donc me sert ce noeud, ce noeud borroméen à trois ? Il me sert, si je puis dire à inventer la règle d'un jeu, de façon telle que puisse s'en figurer le rapport du Réel très proprement à ce qu'il en est de l'Imaginaire et du Symbolique. C'est à savoir que le Réel, au regard de ce que nous repérons dans une certaine expérience comme l'Imaginaire et le Symbolique, c'est ce qui en fait trois. Ça en fait trois, et rien de plus.
Il est frappant que jusqu'ici il n'y ait pas d'exemple, il n'y ait pas d'exemple qu'il n'y ait jamais eu un dire qui pose le Réel, non pas comme ce qui est troisième, car ce serait trop dire, mais ce qui, avec l'Imaginaire et le Réel, fait trois. Ce n'est pas tout ! ... 3. avec l'lmaginaire et le Symbolique fait trois... ce n'est pas tout ! Par cette présentation, ce que j'essaie d'accrocher, c'est une structure telle que le Réel, à se définir ainsi, soit le Réel d'avant l'ordre, que la nodalité nous donne ce quelque chose qui, à le dire d'avant l'ordre ne suppose nullement un premier, un deuxième, un troisième. Et comme je viens de vous le souligner, même pas un moyen avec deux extrêmes. Car même dans la première forme du noeud borroméen, celle que je vous ai... dont je vous ai montré qu'elle permet de figurer comme terme moyen nouant deux extrêmes, ce cercle plié, que je vous montre ici, même dans ce cas n'importe lequel des trois cercles peut jouer ce rôle.
C'est-à-dire
que ce n'est nullement lié, si ce n'est pour vous le faire imaginer,
la figure de gauche n'était là que pour vous rendre accessible
ceci, qu'il y a moyen dans le cercle plié ; mais n'importe lequel
des deux autres peut remplir la même fonction, les autres prenant
dès lors la position d'extrêmes. A quoi ceci nous mène-t-il
?
C'est à
remarquer que, si nous nous intéressons au deux, qui est bien le
problème présentifié par quelque chose qui est vraiment,
on peut le dire, insistant dans ce que nous livre l'expérience du
discours analytique. Ce n'est pas pour rien qu'elle introduit ce deux par
excellence qu'est l'amour de sa propre image, c'est bien l'essence de la
symétrie elle-même. Est-ce que ceci ne nous introduit pas
de fait ceci : ce noeud ! à cette considération que l'Imaginaire
n'est pas ce qu'il y a de plus recommandé pour trouver la règle
du jeu de l'amour. Ce qui s'en livre à l'expérience, si c'est
marqué spécifiquement de la représentation imaginaire,
comme nous sommes arrivés de l'expérience elle-même
à nous le faire imposer, on s'imagine que l'amour c'est deux. Est-ce
que c'est tellement prouvé, si ce n'est par l'expérience
imaginaire ? Pourquoi est-ce que ça ne serait pas ce moyen - comme
d'ailleurs l'indique que c'est au niveau de ce moyen que se produit, cette
fois, deux fois deux - pourquoi est-ce que ce ne serait pas ce moyen, dont
je viens de vous souligner qu'il est d'ailleurs gyrovague, c'est-à-dire
vagabond, qu'il peut aussi bien être rempli par un quelconque des
trois, pourquoi est-ce que ce ne serait pas ce moyen qui, à se pourvoir
d'une suspecte façon de cette forme, de cette forme d'image de lui-même,
ce moyen qui livrerait correctement pensé, à savoir à
travers le réel de ces connections, le ressort de ces noeuds ?
En d'autres
termes, est-ce que le noeud borroméen n'est pas le mode sous lequel
se livre à nous le Un du rond de ficelle comme tel, le fait d'autre
part qu'ils sont trois, ces uns, et que c'est à être noués,
seulement à être noués, que nous est livré le
deux. Il y a là beaucoup de considérations où je pourrais
m'égarer, si je puis dire, parce qu'elles ne serreraient pas encore
plus près ce caractère, si je puis dire premier du trois.
Il est premier,
non pas au sens de ce qu'il serait le premier à être premier,
puisque comme chacun le sait il y en a un autre qui est dit tel, mais s'il
est dit tel, le deux, c'est d'une façon qui est bien singulière,
puisqu'il n'est pas dit, d'aucune façon, qu'on puisse y accéder
à partir du Un. Ne serait-ce que de ceci que comme on l'a remarqué
depuis longtemps, dire qu'un et un ça fait deux, c'est du seul fait
de la marque de l'addition, supposée réunion, c'est-à-dire
déjà le deux. En ce sens, le deux est quelque chose d'un
ordre, si l'on peut dire, vicieux, puisqu'il ne repose que sur sa propre
supposition. Joindre par un plus deux uns, c'est déjà installer
le deux.
Mais tenons-nous
en simplement pour l'instant à ceci, c'est que ce que le noeud borroméen
nous illustre, c'est que le deux ne se produit que de la jonction de l'un
au trois. Ou plus exactement, disons que, si l'on dit que, comme on l'a
fait humoristiquement, que "le numéro deux se réjouit d'être
un pair", ce n'est certainement pas sans raison, il se réjouit,
il aurait tort de se réjouir d'être un pair, car s'il se réjouissait
pour cela, ça serait dommage pour lui, il ne l'est sûrement
pas, mais qu'il soit engendré par les deux impairs un et trois,
c'est en somme ce que le noeud borroméen nous fait saillir, si je
puis dire.
Il y a quand même quelques personnes qui se sont aperçues de ça depuis longtemps. A propos de tout ce qui se dit, il y a un nommé Wittgenstein, particulièrement, qui s'est distingué là-dedans. Donc, ce que j'avance, c'est que ma formule, là, l'amour est passionnant, si je l'avance, c'est comme strictement vraie. Oui. Strictement vraie : il y a tout de même longtemps que j'ai marqué là-dessus quelques réserves, c'est-à-dire que "strictement vraie" n'est jamais vrai qu'à moitié, qu'on ne peut, le vrai, jamais que le mi-dire. Il faudra quand même qu'on arrive, qu'on arrive avant la fin de l'année, à formuler ce que ça comporte et que je vous expliquerai plus tard. C'est que tout mi-dire, mi-dire du vrai, a la mort pour principe. Car le vrai - c'est quand même là quelque chose dont l'expérience analytique peut nous donner le contact - ouais... le vrai n'a aucune autre façon de pouvoir être défini que ce qui en somme fait que le corps va à la jouissance, et qu'en ceci, ce par quoi il y est forcé, ce n'est pas autre chose que le principe, le principe par quoi le sexe est très spécifiquement lié à la mort du corps. Il n'y a que chez les êtres sexués que le corps meurt. Et ce forçage de la reproduction, c'est bien là à quoi sert le peu que nous pouvons énoncer de vrai.
J'ai dit ça comme ça à une personne, enfin qui... j'vois pas du tout pourquoi je mâcherai mes mots, j'ai dit ça à une personne qui a recraché ce foin, très gentiment, cette personne qui n'a recraché, enfin vraiment, strictement que le foin le lui ai mis dans la bouche. C'est pas plus mal qu'autre chose, c'est mon foin, quoi ! Alors, ça ne veut quand même pas dire qu'il n'y ait pas des choses qui changent. Je suis en train d'interroger l'amour. Et je commence, je commence à dire des choses comme ça, qui sont une petite approche, simplement, je ne sais pas comment est-ce qu'il peut arriver... j'en dirai peut-être plus long. Si le résultat d'une extension du discours psychanalytique, puisqu'après tout je ne vais pas à moins qu'à le considérer, mais comme un chancre, je veux dire que ça peut foutre en l'air un tas de choses, si le bien dire n'est gouverné que par la pudeur, ben ça choque forcément, ça choque mais ça ne viole pas la pudeur.
Alors essayons
de nous interroger sur ce qui pourrait arriver si on gagnait sérieusement
de ce côté que... que l'amour c'est passionnant mais que ça
implique qu'on y suive la règle du jeu. Bien sûr, pour ça,
faut la savoir. C'est peut-être ce qui manque : c'est qu'on en a
toujours été là dans une profonde ignorance à
savoir qu'on joue un jeu dont on ne connaît pas les règles.
Alors si ce savoir, il faut l'inventer pour qu'il y ait savoir, c'est peut-être
à ça que peut servir le discours psychanalytique.
Seulement, si
c'est vrai que ce qu'on gagne d'un côté on le perd de l'autre,
il y a sûrement un truc qui va écoper.
C'est pas difficile
à trouver : ce qui va écoper, c'est la jouissance. Parce
que, à ce machin à l'aveugle, enfin, n'est-ce pas, qu'on
poursuit sous le nom d'amour, la jouissance, ça, on n'en manque
pas. Enfin, on en a à la pelle ! Ce qu'il y a de merveilleux, c'est
qu'on n'en sait rien mais c'est peut-être le propre de la
jouissance justement, qu'on ne puisse jamais rien en savoir. Ce qui est
tout de même surprenant, c'est ça justement, qu'il n'y ait
pas eu de discours sur la jouissance. On a parlé de tout ce qu'on
veut, de substance étendue, de substance pensante, mais la première
idée qui pourrait venir, à savoir que s'il y a quelque chose
dont puisse se définir le corps, c'est pas la vie, puisque la vie
nous ne la voyons que dans des corps qui sont, après tout quoi ?
des choses de l'ordre des bactéries, des choses qui foisonnent comme
ça, enfin on en a rapidement trois kilos quand on a eu un milligramme...
c'est, c'est... on ne voit pas bien quel rapport il y a entre ça
et notre corps.
Mais que la
définition même d'un corps, c'est que ce soit une substance
jouissante, comment est-ce que ça n'a été encore jamais
énoncé par personne ?
C'est la seule
chose en dehors d'un mythe qui soit vraiment accessible à l'expérience.
Un corps jouit de lui-même, il en jouit bien ou mal, mais il est
clair que cette jouissance l'introduit dans une dialectique où il
faut incontestablement d'autres termes pour que ça tienne debout,
à savoir rien de moins que ce noeud dont je vous, que je vous sers
en tartines... que la jouissance puisse écoper à partir du
moment où l'amour sera quelque chose d'un peu civilisé, c'est-à-dire
où on saura que, que ça se joue comme un jeu, ça,
ça... c'est pas sûr que ça arrive... c'est pas sûr
que ça arrive mais ça pourrait quand même venir à
l'idée, si je puis dire, ça pourrait d'autant plus venir
à l'idée qu'il y en a des petites traces, comme ça.
Il y a quand
même une remarque que j'aimerais bien vous faire, concernant la pertinence
de ce noeud : c'est que dans l'amour, ce à quoi les... les corps
tendent, et il y a quelque chose de piquant que je vais vous dire après,
ce à quoi les corps tendent, c'est à se nouer. Ils z'y arrivent
pas, naturellement, parce que... vous voyez bien... ce qu'il y a d'inouï
c'est qu'à un corps, ça ne lui arrive jamais, de se nouer.
Il n'y a même pas trace de noeud dans le corps ! S'il y a quelque
chose qui m'a frappé au temps où je faisais de l'anatomie,
c'était bien ça : je m'attendais toujours à voir au
moins comme ça dans un coin une artère ou un nerf qui...
qui huiip ! qui ferait ça... Rien. Je n'ai jamais rien vu de pareil
et c'est même pour ça que l'anatomie, je dois vous le dire,
m'a pendant deux ans passionné. Ça emmerde énormément
les gens qui font leur médecine comme une corvée, comme ça,
moi pas. Naturellement, je ne m'en suis pas aperçu tout de suite,
que c'était pour ça que ça me passionnait, je m'en
suis aperçu après. On ne sait jamais qu'après, enfin
! Et c'est absolument certain que ce que je cherchais dans la dissection,
c'était de trouver un noeud. Ouais.
En quoi ce noeud
borroméen rejoint quand même le pourquoi du fait que, que
l'amour, enfin, c'est... c'est pas fait pour être abordé par
l'Imaginaire. Parce que le seul fait, le seul fait que quand il bafouille,
n'est-ce pas, faute de connaître la règle du jeu, il articule
les noeuds de l'amour, hein...
C'est quand
même drôle que ça en reste à la métaphore,
que ça n'éclaire pas, que ça ne donne pas l'idée
que, du côté de cette chose dont je vous ai, j'espère,
comme ça, un petit peu fait sentir le côté de consistance
étrange et le fait que... que, que ça se surprend, enfin
que, que le Réel, en fin de compte, ce n'est que ça, histoire
de noeuds. Tout le reste, ça peut se rêver, enfin. Dieu sait
si le rêve, enfin, a de la place dans l'activité de l'être
parlant.
Je me laisse
comme ça un tout petit peu aller, comme ça à faire
des parenthèses, vous me le pardonnerez puisque vous me le pardonnez
habituellement, mais c'est quand même, c'est quand même incroyable
que la puissance du rêve ait été jusqu'à faire
d'une fonction corporelle, le sommeil, un désir. Personne ne s'est
encore, n'a jamais mis en relief que quelque chose qui est un rythme, enfin
manifestement puisque ça existe chez bien d'autres êtres que
les êtres parlants, l'être parlant arrive à en faire
un désir. Il lui arrive de poursuivre son rêve comme tel et
pour ça de désirer ne pas se réveiller. Naturellement,
il y a un moment où ça lâche. Mais que Freud ait pu
aller jusque-là, c'est ce dont personne n'a, n'a vraiment relevé
l'autonomie, enfin, l'originalité. Bon.
Bon, revenons
à nos noeuds métaphoriques. Est-ce que vous ne sentez pas
que ce que j'essaie de faire, à y recourir, c'est à faire
quelque chose qui ne comporterait aucune supposition. Parce qu'on a passé
son temps à poser, mais à ne jamais pouvoir poser qu'à
supposer. C'est-à-dire qu'on posait le corps, ça s'imposait,
et on y supposait l'âme. Il faudrait quand même, ça
c'est un machin là comme ça que j'ai brassé parce
qu'au niveau où j'étais dans cette Télévision,
hein, de parler de l'âme et de l'inconscient, l'inconscient,
ça pourrait être tout à fait autre chose qu'un supposé,
parce que le savoir, si c'est vrai ce que j'en ai avancé la dernière
fois, c'est pas du tout forcé que, c'est pas du tout forcé
de le supposer, c'est un savoir en cours de construction.
S’il arrivait,
s’il arrivait que l'amour devienne un jeu dont... dont on saurait les règles,
ça aurait peut-être, au regard de la jouissance, beaucoup
d'inconvénients. Mais ça la rejetterait, si je puis dire,
vers son terme conjoint. Et si ce terme conjoint est bien ce que j'avance
du Réel dont, vous le voyez, je me contente de ce mince petit support
du nombre, j'ai pas dit le chiffre, du nombre trois.
Si l'amour,
devenant un jeu dont on sait les règles, se trouvait un jour, puisque
c'est sa fonction, au terme de ceci qu'il est un des uns de ces trois,
s'il fonctionnait à conjoindre la jouissance du Réel avec
le Réel de la jouissance, est-ce que ce ne serait pas là
quelque chose qui vaudrait le jeu ?
La jouissance
du Réel, ça a un sens, hein. S'il y a quelque part jouissance
du Réel comme tel et si le Réel est ce que je dis, à
savoir pour commencer le nombre trois, et vous savez, c'est pas au trois
que je tiens, hein, vous pourriez le... y ajouter 1416 que ce serait toujours
le même nombre, hein, pour ce qu'il me sert, et puis vous pourriez
aussi l'écrire 2,718, c'est un certain logarithme népérien,
ça joue le même rôle, les seuls gens qui jouissent de
ce Réel, c'est les mathématiciens. Ah ! Alors, il faudrait
que les mathématiciens passent sous le joug du jeu de l'amour, qu'ils
nous en énoncent un bout, qu'ils fassent un peu plus de travail
sur le noeud borroméen. Car je dois vous l'avouer, enfin, j'en suis
vraiment embarrassé, plus que vous ne pouvez croire, je passe ma
journée à en faire des noeuds borroméens, comme ça,
pendant que c'est.. là, comme ça, je tricote...
C'est là que je vous laisse pour aujourd'hui avec un point d'interrogation.